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Imposture du gender : un prof de Bio témoigne

Abbé Pierre-Hervé Grosjean
05 juin 2011

Ce sera l’affaire de la rentrée scolaire 2011. La théorie du gender figurera dans les manuels de SVT en classe de première. En exclusivité pour Padreblog, Anne J., professeur de SVT témoigne, argumente et présente les enjeux. Une réflexion qui fait écho à la vidéo de l’abbé Grosjean dans « 3 minutes pour convaincre ».

Padreblog : « Les petits garçons jouent aux voitures, les petites filles à la poupée » : est-ce pour remettre en cause cela que la théorie du gender a été élaborée ?

AJ : Il y a toujours eu un débat pour savoir pourquoi « les petits garçons jouent aux voitures, les petites filles à la poupée ». Attirance spontanée ou mimétisme des comportements ? Effets de l’identité sexuelle ou influence de l’éducation ? C’est le vieux débat entre l’inné et l’acquis, entre nature et culture.

Mais la théorie du gender va plus loin. Elle dissocie identité sexuelle et orientation sexuelle, afin de dire que notre orientation sexuelle elle-même est déterminée non par la nature, mais seulement par les comportements sociaux. On naîtrait certes garçon ou fille, mais on deviendrait seulement, par son éducation au sens large, hétérosexuel ou homosexuel. La dimension culturelle – le « genre » – l’emporterait sur la dimension naturelle – le « sexe » – dans la détermination de notre orientation sexuelle.

Alors qu’on l’aurait plutôt attendue dans les manuels de philosophie et de sociologie, cette théorie fait son apparition dans les manuels de sciences de la vie et de la terre, en utilisant d’ailleurs des formulations ambigües, renvoyant à des « normes associées au féminin et au masculin[1] » ou à des « scénarios hétérosexuels[2] ».

Mais alors, notre orientation sexuelle est-elle inscrite en nous ou n’est-elle que la résultante d’une culture ambiante ?

A part dans certains cas de perturbation génétique de l’identité sexuelle – qui sont souvent douloureux et méritent d’être traités avec beaucoup de délicatesse et de respect -, chacun de nous naît avec une identité sexuelle précise, garçon ou fille, masculin ou féminin, mâle ou femelle.

Qu’en est-il de notre orientation sexuelle ? Est-elle de l’ordre de la nature ou de la culture ? Si l’on considère que la reproduction est une fonction fondamentale de la sexualité – sans qu’elle soit pour autant sa fonction exclusive -, on est logiquement conduit à affirmer que l’hétérosexualité, en ce qu’elle est la seule orientation sexuelle naturellement susceptible d’assurer la reproduction de l’espèce humaine, est l’orientation sexuelle naturelle de l’homme.

Voilà une affirmation qui pourrait être perçue comme homophobe !

Non pas du tout ! Parce qu’elle ne prétend pas imposer à tous d’avoir la même sexualité. Prenons une autre distinction essentielle : celle qui existe entre les nécessités de l’individu et les besoins de l’espèce. Se nourrir, par exemple, est un nécessité de l’individu : personne ne peut s’en passer, sous peine de mourir. Se reproduire, en revanche, est un besoin de l’espèce et non de l’individu. Il n’est pas nécessaire à la préservation de l’espèce que tous les individus prennent part à la fonction de reproduction. D’autres façons de vivre sa sexualité sont alors possibles, comme autant d’exceptions à cette « loi naturelle » ; le rôle du professeur de SVT n’est pas de se prononcer sur leur origine, ni sur leur valeur morale !

Cette distinction peut d’ailleurs amener à une réflexion sur d’autres dimensions de la sexualité (peut-être dans un cadre autre que celui d’un cours de SVT ?). Elle nous invite à ne pas vivre la sexualité comme un asservissement. Et, au-delà de la théorie du gender qui cristallise les réactions, se pose la question de la manière dont est abordée, de manière plus scientifique cette fois, la question du plaisir sexuel.

Quels sont les enjeux ?

L’enjeu est très simple et tout à fait fondamental : il s’agit de contester l’existence d’une « loi naturelle » pouvant servir de fondement à une « morale naturelle ». Si tout est culturel, alors tout est relatif et tout se vaut.

Bien sûr, il ne s’agit pas de faire de l’homme un animal comme les autres. La sexualité humaine n’est pas limitée à la fonction de reproduction, mais revêt bien d’autres aspects. La question est alors de savoir si elle peut, sans danger, se détacher de ses fondements naturels. C’est une question qui va bien au-delà des compétences d’un professeur de sciences de la vie et de la terre !

Je me contenterais d’observer que le fait d’affirmer l’hétérosexualité comme l’orientation sexuelle naturelle de l’homme ne jette pas ipso facto le discrédit moral sur les comportements individuels qui y font exception, ni d’ailleurs ne garantit la valeur morale de tous les comportements hétérosexuels. La morale reprend alors toute sa place, puisque c’est à elle, et à elle seule, qu’il appartient de déterminer la valeur de ces comportements.

La théorie du gender, elle, élude radicalement cette question, en contestant l’existence même des fondements naturels de l’orientation sexuelle. Sans doute, en la poussant un peu dans ses retranchements, contesterait-elle la nécessité même d’une morale ?

Beaucoup de bruit pour trois lignes dans un ouvrage, vous ne trouvez pas ? Comment réagir en tant qu’enseignante ?

Pour moi, enseignante de sciences de la vie et de la terre, c’est une vraie question.

Non seulement je ne suis pas en accord avec cette théorie – vous l’aurez compris ! -, mais avant tout je trouve qu’elle n’a pas sa place dans un manuel de sciences. C’est un vrai cheval de Troie.

Notre métier, c’est d’apprendre à nos élèves à s’appuyer sur des faits éprouvés, passés au crible de l’exigence scientifique. A les analyser pour progresser dans la connaissance et dans la compréhension. Or la théorie du gender, de ce point de vue, ne « passe pas le contrôle technique » : outre les formulations ambigües sous lesquelles elle se présente, elle s’appuie sur des données qui ne répondent pas aux critères de l’observation scientifique telle qu’on la pratique en SVT. Elle s’appuie sur des exemples tirés soit de l’anthropologie – comme l’existence d’un « troisième genre » en Polynésie[3] – soit de la sociologie – comme des études de comportement menées à Hambourg dans les années 1970 et 1990[4].

Comme le dit le Père Pierre-Antoine Belley, directeur d’un lycée « une chose est de mettre les élèves et les étudiants au courant d’une théorie, ce que nous faisons déjà dans nos cours de philosophie car vos enfants y seront de toute manière confrontés, une autre est d’usurper l’autorité de la science pour imposer une vision anthropologique qui de toute évidence est une étape parmi les dernières vers une re-définition de l’homme explicitement anti-naturelle et anti-chrétienne.[5] »

Alors, comment réagir ? Je n’aime pas m’associer aux grandes chaînes de mails. Le ton employé, et l’utilisation d’arguments d’autorité, les rendent sans doute utiles pour dénoncer, mais pas pour convaincre. D’ailleurs, ils ne sont souvent diffusés qu’à des gens déjà acquis à la cause… En tout cas, devant mes élèves, ils ne me sont d’aucune utilité.

Pour autant, je ne peux pas passer ces questions sous silence. Pour mes élèves, qui ne sont pas encore suffisamment outillés pour exercer une lecture critique de leurs manuels, tout ce qui y est écrit a la même valeur de vérité scientifique. C’est donc à nous de prendre appui sur les méthodes scientifiques que nous enseignons, sur les exigences méthodologiques que nous formulons, pour leur montrer qu’ils ne sont pas en face d’une vérité scientifique, mais simplement d’une théorie.

Je considère même que la présence dans les manuels de cette théorie du gender, présentée sans aucun avertissement, nous offre la possibilité légitime de la discuter en tant que théorie, éventuellement dans le cadre d’un dialogue inter-disciplinaire avec les professeurs de lettres ou de philosophie.

Il nous faut être vigilants : présente dans un court paragraphe des ouvrages de 1ère L et ES cette théorie fait ainsi partie d’un corpus de « connaissances » exigibles lors du baccalauréat. D’où un dilemme : si nous l’enseignons, nous contribuons à faire de cette théorie une « vérité officielle ». Si, au motif d’une « objection de conscience », nous ne l’enseignons pas, ce sont nos élèves qui peuvent en subir les conséquences. Pour sortir de ce dilemme, il faut considérer que l’absence de données scientifiques associées à cette théorie donne à l’enseignant la latitude et la légitimité de la discuter. Elle nous donne la possibilité de montrer en quoi le gender ne peut avoir que le statut de théorie, au titre de la sociologie, et non celui de connaissance, au titre des sciences de la vie et de la terre.

Et de faire un utile rappel sur ce que sont les exigences de la démarche scientifique : nous serons là en plein dans la cible de nos cours de SVT !


[1] Manuel Nathan, SVT 1ère ES et L, p.190

[2] Manuel Bordas, SVT 1ère ES et L, p.182

[3] Manuel Bordas, SVT 1ère ES et L, p.176

[4] idem, p. 182

[5] Cité par le site www.libertepolitique.com

Abbé Pierre-Hervé Grosjean

Abbé Pierre-Hervé Grosjean

Diocèse de Versailles, ordonné prêtre en 2004. Curé de Montigny-Voisins. Responsable des questions politiques, de bioéthique et d'éthique économique pour le diocèse de Versailles. Auteur de "Aimer en vérité" (Artège, 2014), "Catholiques, engageons-nous !" (Artège 2016), "Donner sa vie" (Artège 2018), "Etre prêt" (Artège, 2021).

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