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Le carême… tout simplement !

Abbé Pierre-Hervé Grosjean
05 mars 2014

Beaucoup d’entre nous sont partagés, au jour où commence le carême : nous avons la flemme de nous embarquer à nouveau dans un temps d’effort et de pénitence, pas très attrayant. Mais en même temps, nous avons le secret désir de « réussir » ce carême, d’y croire un peu, d’avoir le courage de le vivre vraiment pour retrouver une foi plus vivante. On rêve déjà d’en sortir heureux. De là à y entrer…

Au fond, c’est le premier choix à faire : décider de ne pas passer à côté de ce carême, choisir de l’accueillir comme une chance qui nous est offerte, oser croire que ce carême peut changer – un peu, beaucoup, passionnément … – notre vie et notre foi. Ça, ça se joue dans le silence, seul à seul, face à Jésus. Prenons cinq minutes dans une église, en sa présence, ou dans le secret de notre chambre. Et décidons de lui donner une chance ! « Seigneur, d’accord, je m’y mets. Je vais le vivre généreusement et joyeusement. Mais permets que ce carême soit fécond pour moi et pour mes frères, d’une façon ou d’une autre ».

Ensuite, il faut incarner ce choix positif dans trois résolutions simples… à choisir avant la semaine sainte ! Ne repoussons pas trop !

La prière

Le carême nous est offert pour chercher Dieu, pour mieux le connaître et mieux l’aimer. Pendant quarante jours, il s’agit avant tout de soigner notre amitié avec le Christ, la raviver sans doute, pour lui permettre de donner du sens à toute notre vie. Pas d’amitié sans temps d’intimité, de dialogue et d’écoute : c’est la prière.

Si nous ne prions pas quotidiennement, décidons que ce sera là notre premier combat : prendre chaque jour un temps de prière avec le Seigneur. La durée, le contenu, ce qu’on ressent, l’envie ou pas de prier… on s’en fiche ! L’essentiel c’est notre fidélité. Notre persévérance à reprendre sans cesse cette simple résolution et à l’intégrer à notre journée. Prenons rendez-vous avec le Seigneur. Et tenons-le. Coûte que coûte. Même si nous n’avons rien à lui dire. Lui se servira de la moindre minute que nous lui donnons. Ce qui compte, c’est notre fidélité gratuite. Celle qui est la marque de toute amitié.

Si nous prions déjà quotidiennement, voici deux idées de résolution : soit nous décidons de nous appliquer pour vivre ce temps de prière peut-être un peu bâclé, un peu usé par l’habitude, de façon renouvelée. Soignons le lieu, le moment et le contenu. Que ce ne soit pas un truc rapide fait entre deux autres activités si on a le temps, mais bien un moment important de notre journée, qu’on finit par attendre et apprécier.

Soit nous décidons, pendant ces quarante jours, d’enrichir notre prière par un petit supplément inhabituel pour nous : la lecture de l’évangile du jour, un bout de notre chapelet, le suivi d’un livret de carême, la lecture de la vie d’un saint ou d’un texte du pape, un temps d’oraison ou la messe en semaine, la prière des complies, etc. Dans tous les cas, il s’agit de faire un peu mieux, un petit pas de plus, pour approfondir notre relation à Dieu.

La pénitence

Hors de question de se faire mal pour se faire mal ! Cela ne serait pas très équilibré et même assez malsain d’imaginer Dieu se réjouir de tout ça. Pas d’excès non plus : ce qui est admirable chez un grand saint n’est pas forcément imitable par tous. Un effort doit être concret, simple, réalisable et… vérifiable ! Donc ni trop vague, ni trop dur.

Là encore, faisons le choix de la simplicité ! Prenons cinq minutes pour réfléchir : « Sur quoi ne suis-je pas vraiment libre ? » Et décidons de nous mettre au travail. Les efforts de carême, les privations, n’ont pas d’autre but que de me rendre un peu plus libre pour penser à Dieu et être capable de le choisir, de lui donner la première place, de dire « non » au mal.

Des idées ? Certains par exemple ne sont pas libres, car bien prisonniers de leur paresse. A l’heure du lever, c’est cette dernière qui commande, et on traînasse. Une belle pénitence sera de se lever d’un bond à la première sonnerie du réveil, de se mettre à genoux pour commencer sa journée par un beau signe de croix et de filer à la salle de bain avec le sourire… Petite pénitence toute simple, que Dieu seul verra, mais qui le réjouira ! Et nous aurons gagné en liberté, en évitant de commencer notre journée par subir ! Je vous laisse découvrir tant d’autres dépendances : tabac, alcool, ordinateur, téléphone, réseaux sociaux, paresse au travail, retard permanent, …  choisissons un point ! Ne le lâchons pas ! On ne gagne pas d’un coup. Mais quelle joie de sentir qu’on a un peu progressé et que cela nous rend faciles les choix plus importants, face à la tentation par exemple. Combien de fois sommes-nous tombés juste par faiblesse ? Par manque de liberté ? Exercer sa liberté sur un point de sa vie, c’est la retrouver par ricochet sur tout le reste !

Petite précision en passant : même si on peut aussi décider pendant le carême de lutter contre tel ou tel péché en particulier, la pénitence, ce n’est pas se priver de … choses mauvaises ! Eviter un péché, ça c’est toute l’année qu’il faut le faire ! Mais retrouver un peu de liberté vis-à-vis de quelque chose qui n’est pas en soi mauvais, mais qui a pris trop de place, ou qui encombre un peu notre vie, nous aidera dans le combat spirituel quotidien contre la tentation.

Le partage

Le carême est le temps idéal pour faire l’expérience de la joie du don. Suis-je capable de donner largement, généreusement ? Il ne s’agit pas de donner forcément beaucoup (d’argent, de temps, etc.). Mais de donner « sans compter », sans négocier, sans attendre, sans se faire prier. Donner de son temps à celui qui demande un service. Donner de soi pour que la vie en famille soit plus facile. Ne pas se faire prier. Ne pas réclamer en retour. Donner à la façon du Seigneur : avec un cœur large, qui ne calcule pas.

Voilà pour l’état d’esprit. A nous de trouver ce que nous pouvons donner. Le Seigneur saura nous inspirer. Un peu d’argent ? Sans doute. Ne serait-ce que pour rester libre vis-à-vis de lui. Chacun à sa mesure. Regardons par exemple ce que nous dépensons en loisir, en cinéma, en cafés, en sorties, ou en cigarettes, … et décidons de donner autant ! Il y a une autre richesse, et pour le coup, on est tous à égalité : c’est le temps. Vingt-quatre heures par jour. On peut décider de donner du temps pour rendre service, par exemple pour visiter sa voisine âgée un peu seule, pour rendre service à tel ami qui peine en cours, … Et n’oublions pas les membres de notre famille ! Pourquoi ne pas choisir de prendre du temps pour eux ? A quand remonte la dernière vraie discussion avec notre père, notre mère ? Avec chacun de nos enfants ? Et avec chacun de nos frères et sœurs ? Montrer que chacun a du prix à nos yeux, en prenant le temps de s’y intéresser, de faire quelque chose ensemble, ne serait-ce que jouer ou prendre un verre. Consacrer du temps à quelqu’un, c’est lui révéler qu’il compte à mes yeux. Et comme on a du mal souvent à se le dire entre frères et sœurs, enfants et parents, offrons un peu de notre temps pour le faire comprendre. Que nos familles soient le premier lieu de charité ! C’est paradoxalement là qu’elle est parfois la plus difficile à vivre au quotidien.

Un dernier mot pour rappeler une exigence sur ces trois points. Elle nous est donnée par Jésus lui-même, puisque nous l’entendons lors de l’évangile du mercredi des cendres : faire tout joyeusement. Parce que le carême n’est pas un « parcours du combattant » destiné à nous en faire baver, ni un exploit sportif réalisé dans la douleur. Mais bien un don qui nous est fait ! Ce temps est un temps de grâce, pendant lequel le Seigneur – si nous savons nous rendre disponibles – sera le premier à se donner généreusement.

C’est Lui qui offrira à nos efforts leur fécondité. C’est Lui qui nous fera grandir tout au long de ces quarante jours, à travers nos petites victoires et nos relèvements. Bon et joyeux carême, vers la joie de Pâques !

Abbé Pierre-Hervé Grosjean

Abbé Pierre-Hervé Grosjean

Diocèse de Versailles, ordonné prêtre en 2004. Curé de Montigny-Voisins. Responsable des questions politiques, de bioéthique et d'éthique économique pour le diocèse de Versailles. Auteur de "Aimer en vérité" (Artège, 2014), "Catholiques, engageons-nous !" (Artège 2016), "Donner sa vie" (Artège 2018), "Etre prêt" (Artège, 2021).

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