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Ce que le porno tue

Abbé Gaultier de Chaillé
24 janvier 2019

En ce début d’année 2019, certains sites pornographiques partagent, sourire en coin, les mots-clés les plus utilisés sur leurs moteurs de recherche. Ils affichent des statistiques prétendant à la fois banaliser le visionnage de leurs contenus et proposer une typographie des comportements de leurs clients, selon le pays et le sexe. Après l’époque de la libération sexuelle, où la pornographie a trouvé un élan sans précédent, Internet a considérablement modifié le rapport de notre société à la vue d’images pornographiques, faisant passer leur consommation du divertissement transgressif au problème de santé publique dénoncé par les professionnels du domaine.

Le problème n’est pas moral

On a longtemps considéré que regarder du porno était une manière de s’abstraire de la « morale à Papa », d’un rapport « bourgeois » et installé à la sexualité. On a longtemps cru qu’il fallait être une espèce de catho rétrograde et frustré pour s’imposer la discipline arriérée de s’abstenir de faire ce que tout le monde fait. Or, depuis l’avènement massif des sites pornographiques gratuits, la donne a changé. Dramatiquement.

Aujourd’hui, c’est un véritable problème de santé, et même plus un problème moral, qui se pose et s’impose. En juin dernier, le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF) avait lancé un appel solennel fortement repris dans les médias. Ces médecins y faisaient valoir notamment les points suivants :

  • Les adolescents consomment de plus en plus de la pornographie
  • La pornographie sexualise les enfants et chosifie les femmes
  • La pornographie offre des images plus crues et une violence croissante
  • La pornographie déshumanise la sexualité

 

Il ne s’agit pas là d’une dénonciation de curés ou de grenouilles de bénitiers effarouchées, mais bien d’un appel de médecins de toutes religions et philosophies qui reconnaissent une menace et un danger pour tous. En octobre 2018, le philosophe Martin Steffens publiait L’amour vrai (Editions Salvator), un propos philosophique de dénonciation du danger pornographique. Lui non plus n’argue pas d’un danger moral mais d’une menace philosophique et anthropologique. Son analyse est enrichie de sa vision chrétienne mais non conditionnée par elle. Si l’Eglise condamne comme une évidence ces images et le fait de les voir, c’est avant tout parce qu’elles blessent en profondeur ceux qui en sont complices ou esclaves.

Ce n’est donc pas en se convainquant que c’est mal qu’on lutte contre la pornographie. La culpabilité ne risque que de renforcer le réflexe d’addiction. Il faut bien plus comprendre que la pornographie tue. Elle abîme tout le monde mais avec beaucoup plus de gravité les plus jeunes, victimes d’un véritable attentat à leur pudeur.

Le porno tue l’ado

La pornographie se prétend un divertissement « pour adultes ». Or, les choses faites « pour les adultes » ne sont pas seulement réservées à eux comme une récompense qu’on serait en droit d’atteindre une fois l’épreuve de l’âge passée. Ce qui n’est pas admis pour les plus jeunes ne l’est pas car c’est dangereux pour eux. Ainsi, de la même manière qu’une prise d’alcool ou de drogue peut affecter un jeune cerveau plus gravement qu’un cerveau adulte, de la même manière les images pornographiques ont un impact immense sur la sexualité des jeunes. C’est sans doute un lieu commun, mais il est toujours bon de se rappeler que le front essentiel du combat contre la pornographie se situe là.

Le visionnage de ces images, massif chez les adolescents (de plus en plus jeunes) qui profitent de la coupable naïveté de leurs parents, conduit à détruire leur capacité à fantasmer et leur attente joyeuse de la sexualité. Il génère également de la culpabilité et conduit à asseoir un rapport de domination sur la femme.

Le porno tue le fantasme

Le fantasme est nécessaire à la sexualité. Le fantasme n’est pas une pensée coupable ou un péché par pensée, c’est le lien entre l’imagination et la sexualité, sa pré-vision en quelques sortes. C’est la projection, dès l’enfance et surtout l’adolescence, dans l’idée de la sexualité comme quelque chose de désirable. Tous les humains bâtissent ainsi leur rapport à la sexualité par une idée de ce qu’elle procure ou provoque, entre désirs et peurs. Les fantasmes se construisent en fonction de ce qui est su et ignoré, dans le clair-obscur de l’imagination parfaitement propre à chacun, en fonction de ce qu’il a vécu ou pas.

La pornographie remplace ce clair-obscur confus d’images personnelles par des images violemment glacées, provenant d’idées d’autres personnes et qui en viennent à coloniser l’imaginaire de tous. Toute image vue et toute expérience vécue habite notre inconscient et fait comme partie de nous. De la même manière, les images exposant la sexualité polluent les fantasmes de leurs spectateurs et les dépersonnalisent. Ainsi, alors que l’imaginaire sexuel doit faire partie d’une part secrète de l’intimité de chacun, tous se trouvent violés et uniformisés dans des désirs créés artificiellement et qui nient les aspirations personnelles.

De la même manière que la surconsommation de séries et de vidéos en tout genre pollue la capacité à vivre dans le silence et à savoir s’ennuyer sans s’angoisser, la consommation pornographique engendre chez les adolescents une incapacité à se bâtir un univers intérieur de pensée sur la sexualité, nourri de la beauté que chacun est et de celle qu’il désire.

Le porno tue la liberté

Alors que la pornographie se présente comme une forme d’art libre, elle est une véritable entreprise de l’aliénation.

Il y a d’abord la question de l’addiction, un sujet déjà traité sur Padreblog. Il convient de dire ici quelque chose d’important : il ne faut pas trop rapidement se croire addict, certains croient trop rapidement en être victimes et, de ce fait, éprouvent une grande difficulté à s’en sortir. La consommation de pornographie conduit naturellement à de la culpabilité et elle va provoquer chez beaucoup le sentiment que tout est gâché par là. Ainsi, de nombreux jeunes qui regardent, même occasionnellement, de la pornographie, en viennent à réduire leur vie psychologique et, plus grave, leur vie spirituelle, à cette question-là. Regarder, même relativement souvent, de la pornographie, ne veut pas dire y être addict. Les comportements de personnes dépendantes les conduisent notamment à ne plus penser qu’à l’assouvissement de leur besoin de voir du porno, ce sont des personnes qui auront beaucoup de difficulté à se maîtriser, même dans des contextes publics ou qui n’encouragent pas du tout à ce type de contenus. Regarder du porno est mauvais, certes, mais ça n’est pas le tout de la vie de quelqu’un. Il ne faudrait pas donner une autre victoire au porno en lui faisant l’hommage d’y réduire une vie intérieure.

Une autre entrave à la liberté est le sentiment d’être obligé de faire comme tout le monde. Or non, tout le monde n’a pas déjà regardé de la pornographie, tout le monde n’est pas attiré par ce type d’images, tout le monde n’en a certainement pas besoin. L’idée selon laquelle on serait un lapin de six semaines si on n’avait pas engrangé des heures de visionnage de porno est courant chez de nombreux jeunes qui en conçoivent le sentiment de passer à côté de quelque chose et d’être des naïfs qui seront ridicules au moment d’exercer leur propre sexualité.

Le porno tue l’espérance

Alors que le fantasme bâtit un désir joyeux, la pornographie enferme dans l’angoisse. Beaucoup de jeunes filles sont effrayées à l’idée de devoir s’adonner à certains actes. Étant donné que beaucoup croient apprendre la sexualité en regardant des films pornos, certaines pratiques sexuelles sont à présent considérées comme faisant nécessairement partie de toutes relations sexuelles. Ce sont presque toujours des actes qui ont pour but de procurer du plaisir à l’homme, et les femmes, surtout adolescentes, sont angoissées à l’idée d’être contraintes à s’y adonner. Il est important de le dire et de le redire, les films pornographiques ne sont pas un documentaire sur la vie sexuelle mais bien des créations artificielles qui inventent des pratiques pour exciter les spectateurs. Ainsi, mesdames, si des actes vous sont réclamés alors que vous ne le voulez pas ou que vous vous sentez dégradées, refusez ! La sexualité vraie n’a rien de dégradant ou d’humiliant mais est la belle réalisation dans les corps de ce que les cœurs veulent.

Les hommes ne sont pas en reste en termes d’angoisse, mais ils sont plus marqués par la peur de ne pas être à la hauteur. C’est un problème typiquement masculin et pas seulement dans la sexualité d’ailleurs. Mais il est particulièrement criant en ce domaine où il peut être rarement évacué par la parole. Ainsi tout en faisant les fiers et en donnant l’impression de prendre les questions sexuelles avec légèreté et humour, les jeunes adolescents sont souvent très complexés par la taille de leur sexe ou leur capacité à opérer les gestes qu’ils voient se dérouler dans les films. Messieurs, n’oubliez pas que les acteurs prennent des médicaments, que dans le cinéma une scène peut être coupée et reprise et qu’il existe des effets spéciaux dans tous les genres de cinéma…

Le porno tue la femme

Il faut insister sur ce point. Dans une société qui revendique avec véhémence l’égalité homme/femme, comment peut-on accepter avec autant de complaisance que les porcs qui doivent être « balancés » soient créés de toutes pièces par le visionnage de films pornos ? La pornographie est avant tout une industrie masculine. Et si elle prétend proposer du contenu pour les femmes, c’est uniquement dans le but d’essayer de toucher cette clientèle trop rare qu’est cette moitié de l’humanité. En vérité, la pornographie ne fait que flatter et encourager les plus bas instincts de l’homme et ce depuis le plus jeune âge.

Outre cette perversion des rapports hommes/femmes encouragée par les films, ce sont des centaines de femmes dont la vie et la santé sont gâchées, souvent irrémédiablement, parce qu’elles sont recrutées pour y être actrices. Car ce sont vraies personnes qui se retrouvent humiliées sur les écrans pour le plaisir destructeur de beaucoup et le profit énorme et scandaleux de certains…

Le porno tue l’amour

Il n’y a d’amour qu’entre les personnes. Il est bon de représenter cet amour. La dimension érotique de nombreuses créations artistiques au cours de l’histoire n’a rien de scandaleux, quand elle encourage à contempler la beauté du corps, la beauté de l’union et le désir d’aimer. Mais réduire l’amour aux organes ? Caricaturer l’amour sous la forme de morceaux de chair en contact ?

Alors, oui, la pornographie est un tue l’amour, parce qu’elle est un commerce qui se prétend art, parce qu’elle est un esclavage qui se prétend liberté, parce qu’elle est le reflet d’une société triste qui se prétend joyeuse.

L’amour n’est pas un acte mais un élan, un but à atteindre et non un désir à assouvir comme un besoin. La pornographie ne doit pas être dénoncée en vertu de la morale comme nous le disions plus haut. Ce n’est pas une question de religion ou de religieux. Cependant, le Christ est celui qui, de manière décisive, montre la voie de sortie de toute mentalité pornographique. Contre la laideur : il est beauté. Contre les images fausses : il est pudeur et vérité. Contre la violence : il est douceur. Contre l’emprise sur l’autre : il est chasteté. Enfin, et par-dessus tout cela, contre la culpabilité : il est miséricorde.

C’est bien la miséricorde de Dieu qui est le remède à ce mal qui ronge. Nous aurons beau dire tout ce que nous voulons pour trouver des techniques de libération et pour trouver des moyens d’être lavés de ces images, c’est au final la miséricorde de Dieu qui seule guérit le cœur malade de l’homme. Notre désir d’aimer est blessé, puisons dans le cœur de Dieu l’élan vivifiant d’un amour vrai et beau !

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Addendum :

Même si la prière n’est pas un remède mécanique à la tentation ou une solution magique de libération de l’emprise pornographique, cette prière composée par Martin Steffens et proposée à la fin de son ouvrage peut sans doute être reprise et aider à la consolation et à la guérison :

« Seigneur,

Tu as créé toutes choses en vue du bien, et par amour.

Tu as laissé à chacun le libre usage de ces biens.

S’est immiscé entre tes dons et l’homme à qui ils se destinent Satan qui déforme tout regard.

Aide-nous à retrouver la voie qui mène à ta Création.

Ajuste-nous à elle, afin que nous cessions d’en dévorer les fruits,

Afin d’offrir à ceux qui viendront après nous

Autre chose que les traces de nos vaines orgies.

 

Seigneur,

Vois où je suis tombé,

Tends vers moi ton regard.

Vois ma misère, mon Dieu,

Que je puisse contempler ta miséricorde.

 

Seigneur,

J’ai les yeux crevés de ne pas savoir mourir d’amour,

De ne pas tenir au seuil de l’autre.

Je fais fuir mon bonheur de ne pas savoir le recevoir de toi.

J’ai les mains vides d’avoir voulu prendre.

Que ces mains soient, comme les tiennes,

Transpercées,

Afin que ce qu’elles saisissent,

Elle l’abandonnent aussi

Et le laissent vivre

Bien au-delà d’elles-mêmes ?

 

Seigneur,

Rends-moi chaste. Amen »

Abbé Gaultier de Chaillé

Abbé Gaultier de Chaillé

Ordonné prêtre en 2013 pour le diocèse de Versailles, curé de Villepreux-Les Clayes sous bois ; licencié en théologie à la faculté des jésuites de Paris (Centre Sèvres). De 2018 à 2020, il répond à "Pourquoi Padre ?" sur KTOtv.

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