Croire au Christ
Les temps de crise sont des moments où notre cœur est mis à rude épreuve, où la peur peut obscurcir notre cœur et notre intelligence. Dès lors, le risque est grand que le Malin vienne s’immiscer dans notre esprit et y jeter le trouble de la suspicion.
Est-ce que la personne qui je croise est contaminée ? Est-ce que ce que les médias disent la vérité ? Est-ce que je peux faire confiance au Président de la République (que j’aie voté ou non pour lui en 2017) ?
On entend, ici ou là, s’exprimer aussi cette suspicion : est-ce que l’Église garde la vraie foi lorsqu’elle décide de ne plus célébrer la messe en public ? En 2020 donc, l’Église (de France et d’ailleurs) serait tiède, les prêtres seraient tièdes, notre foi serait tiède du fait d’une soumission aux demandes gouvernementales. C’était mieux avant, quand « on » avait la vraie foi en Jésus-Christ sauveur des hommes et en la présence réelle.
C’était mieux avant, au temps de la peste, où les religieux et les religieuses prenaient les lépreux sur leurs épaules, au prix de leur vie. Mais c’est oublier qu’à l’époque, ces religieux et religieuses constituaient presque intégralement ce que l’on n’appelait pas encore le personnel médical ou paramédical.
C’était mieux avant, lors de la Terreur, quand les prêtres réfractaires refusaient les injonctions du pouvoir et passaient de maison en maison pour célébrer la messe en cachette – mais c’est faire un trop rapide raccourci que d’équivaloir l’interdiction pour toujours de pratiquer la foi catholique et donc de célébrer la messe à la fin du XVIIIe siècle et la suppression, pour quelques semaines, de ne pas célébrer en public.
Il faudrait donc que des prêtres courageux assurent ce « ministère de proximité » bravant les restrictions de circulation demandées à tous les Français pour célébrer des messes pour des groupes de fidèles, les vrais, ceux qui sont prêts à tout pour recevoir l’Eucharistie. Puisque le Christ est le Sauveur des hommes et que le Corps du Christ est un remède pour le corps et pour l’âme, les virus ne pourraient passer par là…
Présence réelle
Profitons de l’occasion pour rappeler ce que l’Église dit de la « présence réelle » du Christ dans l’Eucharistie.
La présence réelle du Christ sous les apparences du pain et du vin consacrés est continuation de l’Incarnation de Jésus de Nazareth. Jésus n’est pas venu sauver le monde de l’extérieur, mais bien de l’intérieur. Il a pris chair de notre chair, il s’est fait semblable à nous en toutes choses, à l’exception du péché. Il n’a pas fait semblant de prendre nature humaine. Vrai Dieu, vrai homme[1], Jésus a épousé notre humanité blessée au plus intime par le péché des origines pour la sauver radicalement. Par son sacrifice sur la Croix, Jésus a restauré l’unité dans la nature humaine, et dans l’ensemble de la Création.
Dès lors, notre nature humaine est christifiée par la grâce. Saint Thomas d’Aquin, docteur commun de l’Église, synthétise ainsi l’enseignement de la Tradition : « La grâce ne détruit pas la nature, mais la parfait »[2]. L’action divine de salut du monde ne vient pas remplacer la nature, mais elle vient la visiter au plus intime pour l’élever et la guérir.
Certes, les mains d’un prêtre sont ointes du Saint Chrême le jour de son ordination, mais cela n’empêche pas microbes et virus de s’y déposer et de circuler par ces mêmes mains. De même, par la transsubstantiation, le Corps et le Sang du Seigneur sont réellement présents sous les espèces du pain et du vin consacrés. Mais c’est un acte de foi de dire cela, ce n’est pas imaginer que Dieu aurait, par le souffle de l’Esprit Saint, rendus stériles l’hostie et le vin. Dieu n’est pas un magicien ou un illusionniste.
En ce temps de grave crise sanitaire, gardons la foi brûlante en l’amour de Dieu pour les hommes. Mais que cette foi nous garde de l’inconscience.
Il y a 15 jours – une éternité ! –, nous contemplions Jésus assailli par le diable au désert. La deuxième tentation portait sur une foi magique en Dieu. Le diable susurrait : « Si tu es le fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : « Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et ils te porteront sur leurs mains ». Ce à quoi Jésus répondit : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu ».
Prêtre pour tous
Refuser de respecter les mesures de sécurité et de prévention pour passer de maison en maison distribuer l’Eucharistie au motif qu’on a la vraie foi, ce n’est pas, contrairement aux apparences, avoir plus de foi que les autres. C’est même plutôt irresponsable.
Il ne s’agit pas non plus que les prêtres n’agissent pas pour les hommes et les femmes dont ils portent le souci, dont ils ont la charge d’âme. Le pape l’a demandé clairement : « Que les prêtres aient le courage de sortir et d’aller visiter les malades, portant la force de la Parole de Dieu et l’Eucharistie, et d’accompagner le personnel médical et les bénévoles dans le travail qu’ils accomplissent »[3]. Rappelons le choix courageux de saint Père Damien de Molokaï, au XIXe siècle. Ce missionnaire a choisi de rester avec ses fidèles touchés par la lèpre sur leur île de Molokai… et lui-même contracta cette maladie. Mais une chose est d’accepter d’être infecté par une maladie, une autre est de porter la maladie avec soi lorsqu’on multiplie les visites.
Les prêtres ne doivent pas multiplier les sorties sans avoir discerné de leur opportunité. Mais ils ne doivent pas pour autant vivre reclus, calfeutrés dans leur isolement – d’autant qu’ils n’ont pas d’enfants à occuper toute la journée ! Leur action – comme pour celle de tout homme – doit se faire dans la prudence. La prudence n’est ni synonyme de témérité, ni antonyme de courage.
L’action des prêtres et des fidèles en 2020 ne doit pas copier le comportement d’il y a plusieurs siècles. Agir ainsi, ce n’est pas être fidèle à la Tradition, mais se figer dans la répétition. Or, la charité est inventive ! Regardez comment, en quelque jours, sous l’impulsion de la foi, des initiatives ont fleuri pour permettre la participation active à l’Eucharistie par les réseaux sociaux, pour former des chaînes de prière, pour soutenir la foi à coups de vidéos et de méditations, pour garder un lien avec les isolés et affaiblis, etc.
Que ce temps de confinement ne soit pas un temps où nous laissions les tensions monter et les suspicions nous envahir. Faisons confiance à nos gouvernants, faisons confiance à nos évêques. Oui, c’est une épreuve pour les fidèles de ne pas communier. Oui, c’est une épreuve pour les prêtres de ne pas rassembler les fidèles pour l’Eucharistie ou pour des groupes de prière. Oui, nous croyons que dans un monde où règnent la mort, la peur, la maladie et le chaos, Jésus a apporté la vie, le calme, la guérison et la paix !
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[1] Concile de Chalcédoine (451).
[2] ST Ia Q. 1, a. 8, resp.
[3] Homélie, Messe du 10 mars 2020.