Microphone

Les béatitudes du bon catho-geek

Abbé Pierre Amar
09 janvier 2019

Dis-moi comment tu geekes et je te dirai qui tu es ! Instagram, Facebook, Tweeter, LinkedIn, Youtube, Pinterest, Snapchat… le web regorge de multiples sollicitations. Avez-vous noté comment, les seuls réseaux sociaux arrivent à s’imposer dans nos vies, bouleversant notre manière de vivre et d’interagir avec les autres ? Petite revue de geekage avant que nos écrans ne nous déshumanisent complètement.

Nous sommes tous présents sur Internet pour plein de raisons. Et tous, nous avons compris qu’avant d’être un moyen, le web était surtout un lieu. On n’utilise pas Internet, on y va. Mais comment et à quel prix ? Si jamais votre entourage immédiat ne vous avait pas déjà alerté sur le temps que vous passiez sur des écrans, voici les béatitudes du bon catho-geek… Si vous vous reconnaissez dans tous ces travers, ne vous découragez pas : les béatitudes sont un chemin, un idéal vers lequel il faut tendre. L’important c’est de progresser !

« Heureux celui qui lit un article jusqu’au bout »

Parce que cliquer c’est choisir et que choisir c’est élire. J’arrête de picorer, de scroller sans m’arrêter. Je me souviens que le cerveau humain est successif et chronologique. Il n’est pas fait pour recevoir un afflux massif de données. Je lis donc un texte en entier par respect pour l’auteur mais aussi pour aller jusqu’au bout de mon choix. Ce n’est pas mon pouce qui décide : c’est ma tête. La société de la compulsivité ou du « j’ai envie » : non merci !

« Heureux celui qui possède un vrai réveil »

Les médecins s’accordent à dire que la mélatonine, l’hormone de l’endormissement, est considérablement gênée par les écrans. L’heure du sommeil peut ainsi être reportée d’une heure. Il n’est pas non plus normal qu’au matin, mon premier réflexe soit celui de checker mon portable… comme si on m’avait envoyé une avalanche de messages entre minuit et six heures du mat ! Non, le premier geste de ma matinée, en sautant du lit, ce devrait être de faire ma prière. J’ai donc un vrai réveil sur ma table de nuit. Le soir en me couchant, j’ai laissé mon portable dans le salon, mon bureau ou la poche de mon manteau.

« Heureux celui qui n’éclabousse pas les autres de son soi-disant bonheur »

Allez, on te le dit : ce que tu manges, où tu bronzes, ce que tu digères, dans quelle station de ski ou sur quelle plage tu es, si ta robe est belle, si ton footing est réussi, si t’as perdu un bouton, tes selfies, tes géolocalisations, tout ça… on s’en tamponne. En vrai, ça n’intéresse personne sauf peut-être toi-même pour ton futur site : www.moi.fr ! La vie, la vraie, ce ne sont pas ces photos où tu es à ton avantage. C’est du boulot, de la sueur, du sang parfois, des larmes souvent. Et ça, c’est marrant, t’en parles pas…

« Heureux celui qui ne fait pas le marketing de lui-même »

Tweeter, Facebook, Instagram connaissent décidément bien le fond de l’âme humaine : il est possible de se retweeter et de s’autoliker ! « Regardez, je parle ! Et j’aime bien ce que je dis ! ». Quand bien même notre orgueil meurt, paraît-il une heure après nous, pas besoin d’en rajouter. Ce narcissisme n’est pas chrétien. Entre nous, il deviendra même pathétique si tu es le seul à liker ta publication. Evite-toi cette honte ! Tes produits Apple commencent déjà par la même lettre : Iphone,Imac, Ipod, Ipad, Itunes, …. I… moi, toujours moi. Pas besoin d’en rajouter.

« Heureux celui qui n’inonde pas sa mailing list »

Le « Undisclosed recipients » vous connaissez ? Pitié ! N’inondez pas la terre entière de vos humeurs, de vos appels à l’aide, de vos coups de gueule. Personne n’ose vous le dire mais ce genre de message va souvent tout droit dans la corbeille. Pire encore, en cas de crise dans un petit groupe (comme une communauté paroissiale, une association, un groupe scout, etc.), le « copie à tous » est redoutable. Il prend à parti, informe des tiers qui n’avaient pas à être au courant et étale le problème. On ne le dira jamais assez : l’épandage de m… ce n’est bon qu’en agriculture.

Tant qu’on y est, jetez aussi un petit coup d’œil sur Messenger, l’application de Facebook. Et épargnez-nous les messages groupés intitulés « s’il te plait, dis à tous tes contacts de ta liste…» ou « envoie cette bougie à tous tes amis ». Privilégions ensemble la culture du doute et l’esprit critique. Toujours sur Facebook, ne constituez pas non plus un groupe sans feu vert des concernés. Vous allez recevoir une montagne de notifications vous annonçant que « untel a quitté le groupe » : c’est très mortifiant.

 « Heureux celui qui met des filtres sur son ordi et son portable »

Parce que je ne veux pas d’un égout ouvert dans ma maison, parce que les images exercent sur moi un pouvoir fort, parce que le seul courage possible devant la peste pornographique c’est la fuite, j’ai installé un ensemble de restrictions. Ces filtres sont installés à la fois sur mon ordi fixe et sur mon smartphone. Plus d’infos ici ou encore là.

« Heureux le présent-présent »

Car Internet a lancé un nouveau mode de présence : les « présents-absents ». Ils sont là et, en même temps, ils ne sont pas là. Leur corps est bien présent mais la tête est ailleurs. Qui n’a pas fait l’expérience de ces réunions, rassemblements, voyages en groupe, repas… où le voisin a les yeux fixés sur son smartphone ? Chacun, sur son écran, parle au monde entier, mais, côte à côte, on ne se dit plus rien. Comme le souligne le philosophe et journaliste Roger-Pol Droit : « Désormais, le progrès côtoie la régression. Pourtant, rien n’est définitif, ni écrit où que ce soit. La suite dépend de chacun, isolément, et de nous tous, ensemble ». Il faut dénoncer, rajoute-t-il,« la superposition d’e-mails, textos, tweets ou infos pour un même objet. Et, surtout, perte croissante d’humanité, de relation réelle, vivante, surprenante et imprévisible, charnelle autant que réflexive ».

Nous sommes désormais plus connectés et encore plus seuls. Alone together ! L’usage excessif des nouvelles technologies nous coupe de ce qui est au fondement de toute relation humaine : l’altérité, avec sa part d’imprévisibilité, de risques, d’exigences et de plaisirs, à jamais incompatibles avec des systèmes informatiques. Il est décidément urgent de souhaiter pour ce monde des « présents-présents » et non des « présents-absents ». Le christianisme peut y apporter quelque chose : après tout, nous sommes la religion de l’incarnation, d’un Dieu qui n’a pas envoyé un mail mais qui est allé à la rencontre des hommes en se faisant l’un d’entre eux.

 « Heureux celui qui est lucide »

A moins d’habiter une île déserte ou de vivre au milieu du désert, il n’est plus vraiment possible de vivre sans Internet. Mais rien n’empêche de rester triplement lucide. Lucide sur le temps d’écran d’abord : il existe de très bonnes applications pour cela. Lucide aussi sur le sédentarisme de nos vies modernes. Consultez le podomètre de votre smartphone : l’objectif pour rester en bonne santé ? 10 000 pas par jour ! La dernière lucidité concerne nos chaînes numériques. Faites l’essai et profitez soit d’une retraite spirituelle soit de cinq jours en service de réanimation (j’ai testé !) soit du carême pour vivre un temps de sevrage : c’est radical et ça fait beaucoup de bien ! Je ne dis pas que le portable est mauvais : je dis juste que cette privation volontaire permet de savoir si on est libre.

=> [Et une béatitude bonus… parce que dans l’évangile, Jésus fait pareil : il y en a 8 + 1… vérifiez ! Allez on vous aide, c’est ici].

« Heureux celui qui a lu cet article jusqu’au bout, possède un réveil, vit dans l’humilité numérique, ne sort jamais son portable à table, a installé des filtres ainsi qu’une appli temps d’écran et par contre… inondera bien sa mailing list pour faire buzzer cet article ! ».

Abbé Pierre Amar

Abbé Pierre Amar

Diocèse de Versailles, ordonné en 2002. Licencié en droit et en théologie. Auteur de "Internet, le nouveau presbytère" (Artège, 2016), "Hors Service" (Artège 2019), "Prières de chaque instant" (Artège 2021) et de divers spectacles (Jean-Paul II, Charles de Foucauld, Madame Elisabeth). De 2013 à 2018, il anime l'émission "Un prêtre vous répond" sur Radio Notre-Dame. Depuis sept. 2019, il répond à "Pourquoi Padre ?" sur KTOtv.

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