Sauver l’écrit

Quand Padreblog réfléchit à son avenir, on nous remonte que ce qui marche en ce moment, ce sont les podcasts et les vidéos, et que l’écrit est de moins en moins un vecteur de transmission. Alors, bien sûr, nous nous adaptons. Pour autant, nous n’abandonnerons pas les articles. Sauver l’écrit est une des missions essentielles de notre temps, et c’est aussi une question de foi.
L’écrit à la dérive
Chaque année, les jeunes qui se préparent à la confirmation écrivent une lettre personnelle à l’évêque. Et chaque année, je suis effaré de voir comment ils la mettent en page et comment ils agencent l’adresse sur l’enveloppe. Ces jeunes ne savent plus vraiment écrire.
Quant à nous, si nous savons encore coucher nos pensées sur le papier, nous vivons au quotidien trois symptômes de la dérive de l’écriture. D’abord, nous sommes devenus les adeptes de la petite phrase. Du SMS qui contenait 160 signes à l’origine, à Twitter qui impose le format de 280 caractères, la forme la plus fréquente de l’écrit est caractérisée aujourd’hui par sa concision, et en conséquence, par la pauvreté de son argumentation. Sauf à être un génie de la littérature, l’art de la petite phrase conduit en général à accentuer les ressorts affectifs au détriment de l’articulation de la pensée. Ne faudrait-il pas reprendre la plume pour développer et renforcer notre pensée au long cours ? Cela représente un effort, mais il est salutaire.
Pire encore que la phrase concise, nous communiquons par hashtags. Un dièse, un mot, et l’on rassemble des millions de personnes autour d’une idée. L’exemple désormais classique, c’est le fameux #JeSuisCharlie. Certes, le procédé est efficace. Mais c’est au prix de la disparition du raisonnement. L’unique mot du hashtag réduit en fait la pensée à la dynamique primaire de l’appartenance. En face d’un hashtag, on est soit « in », soit « out ». Difficile d’écrire #JeNeSuisPasCharlie, sans être immédiatement taxé d’extrémisme ; impossible d’écrire #JeSuisPeutÊtreCharlie, sans devenir incompréhensible. Et si nous renoncions à l’efficacité du hashtag pour retrouver une pensée en nuances ?
Dernier symptôme : la croissance hyperbolique des emojis. Ils pullulent dans nos messages, ils résument nos états d’âme sur les réseaux sociaux. Certes, il y a un caractère ludique à trouver le caractère adéquat à la situation. La dynamique en cours n’en est pas moins un remplacement de l’écrit par l’image, et de l’argumentation par l’émotion. Or, les psychologues le savent bien : moins on a de mots pour exprimer les émotions, moins on est capable de les canaliser, et plus elles jaillissent sous la forme d’une violence explosive. Cette infantilisation n’est donc pas sans poser de graves questions. Arrêtons de justifier nos affirmations par de gentils emojis et choisissons d’assumer notre pensée écrite.
Une priorité pour la foi chrétienne
La dynamique de la petite phrase, la polarisation des hashtags et l’infantilisation des emojis sont autant de signaux qui nous invitent à redonner toute sa place à l’écrit. C’est une question de société. C’est aussi une question de foi. En effet, la Révélation divine se structure autour de l’annonce de la Parole de Dieu qui est, de manière essentielle, une collaboration entre Dieu et l’homme. Pour effectuer le passage de l’oral à l’écrit biblique, Dieu a choisi des hommes « auxquels il a eu recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement. » Cette affirmation du Concile Vatican II (Dei Verbum n°11) est d’une importance extrême : l’inspiration biblique, c’est le travail conjoint de Dieu qui inspire, et de vrais auteurs qui mettent par écrit ce qu’ils reçoivent de Dieu, avec leur talent littéraire et leur savoir-faire argumentatif. Savoir lire et écrire, savoir argumenter et écouter : tout cela est donc indispensable pour recevoir la foi dans l’Église.
Cette affirmation n’est pas intellectualiste, elle n’exclut pas les personnes illettrées ou ceux qui ne maîtrisent que difficilement l’écrit ou l’argumentation. Elle parle seulement de la foi comme d’une réalité humaine et divine à la fois. Elle n’est vraiment humaine que s’il est possible d’y participer par la raison et l’intelligence. Et cela ne peut advenir que dans une société où l’on prend soin de l’acte de lecture comme accueil de la pensée d’un autre, et de l’acte d’écriture comme expression de sa propre pensée et des questions qui l’habitent.
Donc : à vos stylos, et à vos carnets ! Et comme aimait à le dire un de nos professeurs de philosophie au séminaire : « Nulla dies sine linea » – « Pas un jour sans écrire quelques lignes ». C’est un enjeu pour chacun, c’est surtout un enjeu pour la transmission de la foi.