Microphone

Une question de cohérence

Abbé Pierre-Hervé Grosjean
11 décembre 2014

Il y a quelques jours, la justice administrative ordonnait au Conseil Général de Vendée de retirer la crèche qui était exposée dans le hall du bâtiment « au nom de la laïcité ». Interrogée par les médias, la grande majorité des élus s’est offusquée de cette décision, rejoignant le sentiment d’une grande partie des Français. Le bon sens refuse une laïcité qui nous ferait renier nos racines, notre culture et notre histoire. On a même l’intuition contraire : en ces temps de crise, de flottement et d’incertitudes, il est précieux de retrouver le patrimoine commun qui nous rassemble. Noël, y compris dans sa dimension chrétienne, en fait partie de façon indéniable.

Il y a quelques mois, nous nous sommes réjouis, à plusieurs reprises sur ce blog, de la formidable mobilisation pour défendre le mariage homme/femme, la complémentarité père/mère et la famille de façon plus générale. Ce fut là encore une vraie joie de voir beaucoup d’élus prendre position et descendre dans la rue avec des centaines de milliers de Français.

Mais quel étonnement de voir chez ces défenseurs de la famille – comme chez ceux qui ont voulu défendre notre culture chrétienne et populaire à travers cette histoire de crèche – des partisans de l’extension du travail du dimanche !

Où est la cohérence ?

Le repos dominical fait tout autant partie de notre culture – et de notre foi pour les chrétiens – que la crèche. La nécessité d’un jour de gratuité et de repos, pour rappeler que l’homme ne se définit pas seulement par ce qu’il produit ou consomme, est une intuition profonde que nous partageons depuis des siècles, inspirés en cela par l’Ecriture Sainte. Eclairés par la doctrine sociale de l’Eglise, les chrétiens ont participé aux luttes sociales pour imposer peu à peu ce dimanche non travaillé et offrir à tous un temps de gratuité.

Comment défendre la famille si on la prive en même temps de ce jour de retrouvailles et de détente où elle peut se rassembler ? D’ailleurs, sommes-nous les premiers – nous, chrétiens – à veiller sur la qualité de nos dimanches ?

Les partisans de l’extension du travail du dimanche ont des arguments économiques ? Ceux-ci sont discutables et discutés, y compris par des chefs d’entreprise ou des économistes. Mais au fond qu’importe. La fin ne justifie pas les moyens. Ce n’est pas d’abord une question économique : c’est une question de société. Affaiblir le dimanche, c’est bouleverser le rythme de vie de toute la société, des familles, des enfants. Affaiblir le dimanche, c’est toucher à l’homme et à ses besoins fondamentaux : se reposer, se retrouver, servir, s’engager, se détendre, prier…

La tentation ultralibérale

On parle de liberté… Mais au-delà du fait que celle des salariés n’est pas assurée – aujourd’hui volontaires, demain obligés sous la pression de l’employeur – la question est la même que pour les réformes sociétales : le désir individuel doit-il primer en tout temps ? Non, s’il remet en cause des principes fondamentaux et des institutions qui fondent notre vie en commun. C’est le cas pour le repos dominical car celui-ci fait partie du bien commun.

L’ultralibéralisme, qu’il soit éthique, sociétal ou économique, porte toujours la même erreur : la tentation de toute-puissance du désir individuel. On connaît déjà ceux qui en paient le prix : les plus pauvres, les plus fragiles, les plus petits. Quand il n’est pas régulé, c’est évidemment le désir du plus fort qui prend le dessus.

Qu’on nous permette, pour finir, de citer deux personnalités, l’une religieuse, l’autre politique. Elles disent sensiblement la même chose :

« Peut-être est-ce le moment de se demander si travailler le dimanche est une vraie liberté… le dimanche sans travail affirme que l’économie n’a pas la priorité sur l’humain, sur la gratuité et sur les relations non commerciales, sur les relations familiales et amicales, et, pour les croyants, sur la relation avec Dieu et avec la communauté. »

« Ce n’est pas une réforme subalterne, c’est un moment de vérité autour de la seule question qui vaille : dans quelle société voulons-nous vivre ? Veut-on faire de la consommation –  encore plus qu’aujourd’hui – l’alpha et l’oméga de notre société ? La gauche n’a-t-elle désormais à proposer comme organisation de la vie que la promenade du dimanche au centre commercial et l’accumulation de biens de grande consommation ? Le dimanche doit être un temps réservé pour soi et pour les autres. C’est un moment précieux qui doit être consacré à la famille et aux amis, à la vie associative, à la culture et au sport… Valorisons l’être, plutôt que le tout avoir. Gardons du temps pour penser, respirer et vivre. »

La première citation est du Pape François (ici). La deuxième est de Martine AUBRY, maire socialiste de Lille. Sa remarquable tribune est à lire ici. C’est une joie de voir des élus de tous les partis partager le même discours, inspiré par cette doctrine sociale de l’Eglise qui a tant marqué notre culture. On peut par exemple lire Jean-Frédéric POISSON (ici) ou même Charles BEIGBEDER, qu’on ne pourra accuser de marxisme, ni de rien connaître aux affaires ! Son propos est pourtant très clair sur le sujet (à lire ici).

Famille, culture, vie sociale : il est essentiel que les chrétiens soient cohérents sur ces sujets et appellent leurs élus à la même cohérence pour défendre le bien commun.

[Addendum : un cadre dirigeant d’un groupe de grande distribution nous écrit à la suite de cet article pour donner cette petite analyse qu’il semble bon de partager :

« Sur le plan économique, il y a aura un surcroit d’activités pour les zones touristiques (Champs-Elysées… ). C’est relativement indiscutable et cela peut se traiter par exception. Mais il n’aura échappé à l’attention de personne que trois types de groupes militent pour l’ouverture du dimanche pour des raisons qui n’ont pas grand-chose à voir avec le bien commun :

– les grands groupes de distribution (Bricolage en tête mais aussi beaucoup d’autres). Cela leur permet de se créer un avantage concurrentiel le dimanche au détriment du commerce de proximité qui ne peut le faire. En clair, le plus gros écrase le plus faible.

– les personnes travaillant à temps partiel qui souhaitent souvent le faire pour avoir de quoi vivre décemment. La volonté de travailler le dimanche n’est pas une décision libre parce qu’on leur impose, parce qu’ils subissent le temps partiel le reste de la semaine et qu’on les paye mal.

– certains hommes politiques de droite et certains journalistes (Les Echos,…) qui utilisent cette loi pour montrer que le gouvernement est incapable de faire bouger les choses. Du pur opportunisme pour servir un combat personnel indépendant du fond dont ils se moquent : eux-mêmes et leurs enfants ont, il est vrai, peu de probabilité de tenir une caisse chez Leroy Merlin un dimanche après-midi…]

Abbé Pierre-Hervé Grosjean

Abbé Pierre-Hervé Grosjean

Diocèse de Versailles, ordonné prêtre en 2004. Curé de Montigny-Voisins. Responsable des questions politiques, de bioéthique et d'éthique économique pour le diocèse de Versailles. Auteur de "Aimer en vérité" (Artège, 2014), "Catholiques, engageons-nous !" (Artège 2016), "Donner sa vie" (Artège 2018), "Etre prêt" (Artège, 2021).

Partager