Microphone

Le prêtre : seul ou isolé ?

Abbé Pierre-Hervé Grosjean
11 juin 2010

Une des grandes peurs de beaucoup de jeunes quand ils évoquent la possibilité de devenir prêtre est la solitude qu’ils pensent être la nôtre. La vie en communauté qu’offrent certaines fraternités ou communautés sacerdotales, bien que parfois un peu idéalisée vue de loin, apparaît comme rassurante et fortifiante pour beaucoup de jeunes qui s’y engagent.

Cette question de la solitude est une vraie question, que pose en particulier la vie d’un prêtre de paroisse. Il faut l’évoquer.

Une solitude acceptée et offerte

Il ne faudrait pas trop vite, pour rassurer les jeunes, l’évacuer avec des arguments faciles ou uniquement spirituels. Il y a une vraie solitude, inévitable, à vivre, pour celui qui a accepté de suivre le Christ comme prêtre, pasteur à la tête de son troupeau. Le prêtre porte seul beaucoup de confidences, le poids de certaines décisions… Il est seul le soir, quand il se retire chez lui, après les réunions, les rencontres, les dîners, les veillées de prière, et rien ne remplacera la tendresse ou l’écoute d’une femme qu’il a choisi de ne pas avoir à ses côtés. Il y a des heures lourdes, qu’on aimerait partager ; des confidences ou des situations difficiles, qu’on a vécues, et sur lesquelles on voudrait revenir. Des joies pastorales, des réussites, notre besoin de reconnaissance qui attendraient d’être entendus, encouragés, félicités… Oui, le prêtre est parfois seul. Seul avec le Seul. Et cela n’est pas toujours facile.

Pourtant, cette solitude choisie, acceptée librement, n’est pas un poids ni un carcan qui me rend malheureux. Elle est ma condition de vie, librement choisie, à l’image de Celui qui m’a appelé. Elle ressemble parfois à la solitude du chef, ou du premier de cordée : solitude vécue comme un service de ceux qui nous sont confiés.

Elle est le lieu aussi de ma relation personnelle au Christ, de cette intimité particulière qu’Il entretient avec ceux qui Lui prêtent chaque jour leur voix, leurs mains, pour servir ce monde. Cette solitude n’est pas du vide relationnel… c’est aussi elle qui sans doute, marque d’une façon toute spéciale ma relation aux autres. Le prêtre, homme mis à part, pour mieux servir le monde. L’homme de Dieu, qu’on vient voir, à qui on vient se confier, justement parce qu’il est « à part » d’une certaine façon…

Enfin, et c’est important, cette solitude ne peut être vécue paisiblement, joyeusement, que si elle est effectivement en lien avec un ministère qui me rend heureux. Puisque c’est ce ministère qui lui donne son sens. Elle a aussi besoin d’une assise humaine équilibrée, et de relations humaines équilibrantes. En ce sens, j’ai la chance de ne pas être isolé dans ma vie de prêtre. Seul mais pas isolé.

Des liens ressourçants

J’ai la chance d’avoir une famille encore présente. Des frères et soeurs, des parents, qui partagent et comprennent le sens de ma vie, ont toujours été un soutien discret et présent. Ils m’aident en particulier à rester naturel : s’il m’arrivaient de « prendre la grosse tête » ou d’oublier les fondamentaux de la charité fraternelle, ils seraient les premiers à me « rentrer dedans ». Eux peuvent tout me dire… et ne s’en privent pas !

Grâce aussi de conserver de belles amitiés de mes années de lycée et de prépa. Joie de partager de vraies amitiés avec des couples ou des amis de mon âge. Je suis devenu prêtre, je suis resté l’ami. Joie de sentir chez eux un regard fraternel, bienveillant, qui permet certaines confidences, qui sent les moments plus rudes, capable de partager mes joies et tout simplement de vivre de bons moments ensemble.

Joie véritable de compter sur de vraies amitiés sacerdotales. Elles prennent une place très importante, et en ce sens, font réellement que je ne me suis jamais senti isolé. Des amis prêtres, qui comprennent, partagent les mêmes joies, les mêmes difficultés, les mêmes espérances, les mêmes projets. Des amis avec lesquels on peut se relâcher, être franc, compter sur leur franchise. Des amis prêtres avec qui on peut s’enthousiasmer sur mille projets, refaire l’Église des heures durant, partager un bon repas… On se comprend, on a été saisis par le même appel, on partage le même désir de « servir et sauver », on est prêt à changer le monde ensemble ! J’ai besoin de ces amis, de leur humour, de leur joie d’être prêtre, de leur franchise. Je rends grâce d’être sur un diocèse dans lequel ces jeunes prêtres sont nombreux, donc proches les uns des autres. Cela suppose de prendre le temps de cultiver ces amitiés, bien sûr. Prendre ces temps gratuits pour se retrouver. Mais c’est indispensable à mes yeux.

Comment ne pas mentionner aussi ce père spirituel qui m’accompagne ? Prêtre aîné au coeur de père, à qui je peux tout dire, tout confier, sans jamais avoir peur de décevoir ou d’étonner. Un « père » qui m’aide à rester « fils ».

Joie

Joie de compter sur la présence des paroissiens. Il faut toujours du temps pour les connaître, pour qu’ils me connaissent, au delà des premières impressions ! C’est un vrai soutien de les sentir présents, bienveillants, encourageants. A leur contact, se forme mon coeur de pasteur et de père. Les paroissiens, comme tous ceux que je rencontre, m’apportent bien plus qu’ils ne le pensent. C’est à travers leur attente, leur foi, leur regard, que je comprends peu à peu ce que je suis pour eux, prêtre de Jésus-Christ. Avec certains, une amitié particulière se construira. Quelle joie quand je suis reçu dans les familles, quand je me retrouve dans cette ambiance de famille si vivante et si équilibrante ! De prier avec les enfants, avant de partager un bon repas animé ! Joies humaines, précieuses et simples, qu’on apprécie grandement.

Joie enfin de pouvoir compter sur la bienveillance de mon curé, de mes supérieurs et de mon évêque. Ce n’est pas du fayotage ! C’est ce que je vis. Pourtant, je ne suis pas certain de leur rendre toujours la vie facile. Mais leur présence paternelle m’accompagne, sans jamais me « brider », ni étouffer mes grands désirs. Parce qu’ils laissent libre, parce qu’ils encouragent, parce qu’ils permettent toujours un dialogue franc, je peux m’appuyer sur leur discernement et vivre une obéissance confiante.

En finissant ce trop long billet, je reprends conscience de la chance que j’ai. Je connais des frères prêtres qui n’ont pas la même chance. Plus isolés, je sais que leurs conditions de vie sont parfois dramatiquement difficiles. J’en veux parfois à leur évêque de les mettre dans des lieux humainement si difficiles. Mais je crois que peu à peu, tout le monde, évêque, confrères, laïcs, comprend l’importance de prendre soin, y compris humainement, des prêtres. Pour que leur vie puisse continuer d’être un témoignage joyeux de l’amour de Dieu pour notre monde !

Abbé Pierre-Hervé Grosjean

Abbé Pierre-Hervé Grosjean

Diocèse de Versailles, ordonné prêtre en 2004. Curé de Montigny-Voisins. Responsable des questions politiques, de bioéthique et d'éthique économique pour le diocèse de Versailles. Auteur de "Aimer en vérité" (Artège, 2014), "Catholiques, engageons-nous !" (Artège 2016), "Donner sa vie" (Artège 2018), "Etre prêt" (Artège, 2021).

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