Pédophilie : honte, misères et vérité
Pleurer. Hurler. C’est certainement les deux seules réactions que provoque le film Spotlight chez ceux qui sont allés le voir. Oscar 2016 du meilleur film, cette oeuvre cinématographique à la distribution et à l’interprétation impeccables révèle l’ampleur du scandale des prêtres pédophiles dans le diocèse de Boston aux Etats-Unis, en 2001. Depuis, d’autres cas ont été révélés en France, mais surtout en Irlande, en Allemagne ou en Autriche. On sait que l’épicentre de ce scandale remonte aux années 1970-1980. Il y a bien sûr des fautifs : impossible de le nier. Et des hommes d’Église ont parfois été scandaleusement fort silencieux. Spotlight le révèle avec douleur.
Soyons clairs : ces crimes pédophiles sont abominables. Ils sont et seront toujours une honte pour l’Église.
Dire la vérité
Si le cardinal Ratzinger, futur pape Benoît XVI, demandait à son époque que Rome en soit informée, ce n’est pas – comme le suggèrent certains – pour régler les choses en interne et les cacher à la justice civile. Il s’agissait tout au contraire de vérifier qu’on ne tournait pas la page, et qu’en plus d’une condamnation pénale, il y ait aussi une condamnation canonique, c’est-à-dire venant des tribunaux d’Église. Le pape François est même allé plus loin en faisant arrêter par la Gendarmerie Pontificale un ancien nonce polonais (Josef Wesolowski), aujourd’hui décédé, accusé de faits abominables. Retourné à l’état de laïc, il a été assigné à résidence, dans l’attente d’autres sanctions.
Les crimes pédophiles sont horribles. Leur révélation ne peut que donner la nausée. Ceux qui les ont commis doivent être recherchés, jugés et condamnés sans aucune complaisance. Les victimes sont d’abord les enfants. En ce sens, les conséquences éventuelles de ce choc pour l’Église ne devraient pas nous importer : seules les victimes devraient compter ! Et pour tout prêtre, il n’y a rien de plus terrible que de voir un enfant blessé ou sali par un confrère, par celui-là même qui a reçu mission d’être la figure du père. Aujourd’hui, un drame de ce genre ne sera à l’évidence ni étouffé, ni caché. Et si des affaires l’ont été dans le passé, c’est une faute grave pour laquelle plusieurs évêques, et le pape lui-même, ont d’ailleurs demandé pardon. Dans le diocèse de Meaux en 2006, l’évêque s’est porté partie civile contre un de ses prêtres, considérant que ce dernier avait trahi la confiance de l’Église et causé un véritable préjudice moral.
Tolérance zéro, donc. Si on doit se réjouir que la parole des enfants soit écoutée et que de tels crimes ne restent pas impunis, il faut pour autant rester prudent et attentif. Pour détruire la réputation d’un prêtre, il est facile de lancer des rumeurs insidieuses ou de porter contre lui de fausses accusations. Il faudra du temps pour démontrer son innocence, mais le mal sera fait. Qui se souvient du procès d’Outreau (2005) où un prêtre a été acquitté ? Il a pourtant passé deux années en prison… pour rien. On ne se relève jamais vraiment de telles calomnies. Mais arrêtons-nous là, sous peine de tomber dans des affirmations gratuites qui sentent la cathophobie à plein nez.
Tous pédophiles ?
Expliquer que le célibat des prêtres est une cause de la pédophilie est simplement absurde et injuste. Si le célibat clérical favorise la pédophilie, alors pourquoi tous les prêtres, qui sont a priori tous célibataires, ne sont-ils pas pédophiles ? Et si le célibat clérical était la cause de la pédophilie, pourquoi donc 95 % des pédophiles mis en examen vivent-ils en couple ? Cela voudrait dire que le mariage est dangereux et qu’il favoriserait lui aussi la pédophilie…
La vérité, c’est que la pédophilie est une déviance grave, une pathologie et une maladie (ce qui n’exclut pas la responsabilité de celui qui commet un acte pédophile). Si elle n’est pas accompagnée, soignée et aidée, la personne qui porte cette tendance risque de commettre des actes dramatiques et criminels, qu’elle soit mariée, célibataire, prêtre ou éducateur. Quand un professeur d’école est arrêté puis condamné pour pédophilie, on affirme sans hésiter que cet homme était malade, porteur d’une pathologie pédophile et qu’il a commis des actes criminels. Ce n’est pas la faute de sa femme, ou de son célibat, ou de son métier. Pour des prêtres, le problème n’est donc pas le célibat, mais le manque d’équilibre avec lequel ils vivent leur état de vie. Pour y remédier, l’Église cherche à discerner toujours mieux les fragilités affectives, humaines ou psychologiques chez les candidats au sacerdoce. C’est une bonne chose. Mais qu’on ne dise pas que c’est la prêtrise qui rend pédophile, ou que si ce curé avait eu une femme avec qui se « détendre », il n’aurait pas agressé des enfants ! On est là dans une réflexion bien pauvre et tous les pédophiles en couple – avec parfois une vie de famille tout à fait stable – nous montrent que les choses sont bien plus compliquées.
Malheur à celui par qui le scandale arrive !
Ne soyons pas choqués par l’importance accordée au scandale provoqué par un prêtre. Il est juste qu’on lui en veuille encore plus que pour les autres et finalement légitime qu’on soit scandalisé. Cela montre aussi que de façon inconsciente, malgré la déchristianisation, le prêtre reste pour beaucoup une figure à part qui doit rester exemplaire. Cela aussi, le démon le sait : s’il parvient à faire tomber un prêtre, il sait que beaucoup seront blessés, perdront confiance et en voudront à l’Église. C’est ce que disait un jour Benoît XVI en reconnaissant que la plus grande persécution contre l’Église ne vient pas de ses ennemis de l’extérieur mais du péché de ses membres. Des ennemis de l’intérieur, en quelque sorte. Dans sa « Lettre aux catholiques d’Irlande », il a même osé un terrible reproche, regrettant ces crimes pédophiles monstrueux « qui ont assombri la lumière de l’évangile à un degré que pas même des siècles de persécution ne sont parvenus à atteindre » (source).
A la tête de l’Église, beaucoup de choses ont été faites et il reste encore certainement beaucoup à faire. La pédophilie est un véritable fléau contre lequel l’Église doit lutter de toutes ses forces. Mais il n’y a pas qu’elle qui est en cause : l’Education nationale, les familles, doivent se mobiliser. Il faut agir, ne pas garder le silence, écouter, prévenir… Que tout le monde se sente concerné !
Et à notre niveau ? Ceux qui voudront comprendre comment tout cela est arrivé et de quelle manière l’Église mène ce combat, liront avec profit l’ouvrage de Gérard Leclerc L’Église face à la pédophilie (Ed. de l’Oeuvre, 2010). Et plutôt que d’instrumentaliser des drames personnels au service de revendications sans aucun avenir, il n’y a, semble-t-il, que trois choses à faire, dès maintenant, après avoir fini la lecture de cet article :
– prier, pour confier à Marie toutes les victimes de ces crimes odieux. Beaucoup d’entre elles sont vivantes, à commencer par celles évoquées dans Spotlight. Le pape Benoît XVI, le pape François ensuite, ont pris le temps de les rencontrer, loin des caméras et des micros. Des rencontres qu’on imagine éprouvantes, torturantes et douloureuses, pour tous.
– remercier Dieu pour tous les prêtres qui vivent bien leur célibat, au service de Dieu et de tous ! Curieux… on ne parle jamais de ceux-là et on ne leur donne guère la parole ! Ils sont pourtant les plus nombreux, et largement. Serviteurs silencieux et discrets, fidèles images du bon Pasteur, ils souffrent aussi de voir l’offrande de leur vie, leur célibat, si attaquée, tant salie, si peu reconnue et comprise. A commencer, parfois, par des catholiques eux-mêmes !
– prier encore pour confier à la mère de Dieu les prêtres que nous connaissons, tous ceux qui nous ont servis. Que le Seigneur leur donne d’être fidèles jusqu’au bout et les préserve dans les combats qui sont les leurs !