La bioéthique, c’est du concret
« Avant ça, j’avais toujours cru être contre l’avortement ! ». La discussion commence fort avec Johanne et Victor : ils attendent un enfant gravement handicapé qui mourra très probablement le jour de sa naissance. À la première échographie, le choc des premiers signes inquiétants avait été renforcé par les mots du médecin qui ne parlait plus du « bébé », mais du « problème ». Avec la confirmation du diagnostic, la peur et la panique avaient saisi le couple qui ne savait plus quoi faire.
De l’importance de faire atterrir nos idées
En matière de bioéthique, nous avons souvent des idées bien arrêtées. Nous savons ce qui est bien et ce qui est mal. Nous savons ce que nous voulons défendre et ce à quoi nous nous opposons. C’est bien, mais c’est très insuffisant, car la question de l’éthique est une question concrète. Elle porte non sur un savoir abstrait, mais sur la sagesse de l’action. Et dans les situations critiques, on ne dispose pas d’un temps infini pour réfléchir et se déterminer. Il faut être prêt, et pas seulement intellectuellement. Comment faire pour que nos idées descendent dans la chair de notre vie ? Comment faire basculer nos idéaux dans la dimension existentielle ? L’enjeu est double. Dans notre propre vie, il s’agit d’enraciner nos convictions afin d’en faire une force à l’heure de l’épreuve. Dans nos rapports aux autres, il s’agit d’éviter l’attitude des Pharisiens qui chargent les autres de pesants fardeaux sans les porter eux-mêmes (Mt 23, 4).
S’engager socialement en faveur des plus fragiles
Pour agir à partir de nos idées, rien de mieux que de commencer par du très concret. Les lieux de fragilité dans la société que nous formons sont nombreux et les besoins en bénévoles sont infinis. Dans les maisons de retraite, il faut des visiteurs pour prendre soin des personnes qui n’ont pas de famille. Le Secours Catholique recherche des personnes pour aider des enfants en difficulté à faire leurs devoirs. L’Ordre de Malte et tant d’autres associations ont besoin de bras et de cœurs pour faire leurs maraudes auprès des personnes sans logis.
On ne peut pas être chrétien et ne pas expérimenter, dans sa vie très concrète, une rencontre régulière avec les exigences des plus fragiles. Et si les pauvretés n’apparaissent pas clairement parce qu’elles sont cachées, il est de notre devoir de les chercher et de les trouver, pour s’y engager énergiquement. De telles expériences façonnent notre coeur et nos émotions. Elles nous habituent aux désagréments de la vulnérabilité ; elles nous confrontent à son côté repoussant et difficile ; elles nous préparent à affronter nos propres situations de faiblesse.
Oser avoir peur !
Pendant la préparation au mariage, on finit toujours par aborder la question du handicap. C’est une sorte d’exercice fictif : « Et si vous attendez un enfant handicapé, que ferez-vous ? ». Les réactions varient beaucoup d’un couple à l’autre. Parfois, c’est une déclaration de principe un peu froide : « Mon Père, on est contre l’avortement, on le gardera. Évidemment. » Ou encore : « Nous, on avortera. C’est plus simple. » Plus souvent, le couple se met à vivre en direct des sentiments difficiles : la peur de l’improbable (« c’est vrai, ça peut aussi nous arriver »), la peur de l’inconnu (« je ne saurais pas quoi faire »), la peur du rejet (« jamais mes parents ne me soutiendront »), la peur de la réaction de l’autre (« notre couple ne tiendra pas »). J’aime ces moments, j’aime cette honnêteté qui nous fait quitter le café du commerce (« je suis pour, je suis contre ») pour descendre à l’intérieur de la vie. Oser aller vers le malaise, se confronter à des sentiments désagréables et le faire avec un tiers, c’est déjà prendre de bons réflexes.
N’hésitez pas, en couple ou entre amis, à vous mettre en situation :
– Et si c’était notre enfant qui était porteur d’une trisomie 21 ou d’une maladie plus compliquée, plus invalidante ? Comment réagirions-nous ?
– Et si c’était notre fille qui tombait enceinte au lycée après une aventure passagère ? Comment l’aiderions-nous ?
– Et si c’était ma copine qui attendait un enfant alors que nous n’avons pas vraiment de projet de vie ensemble ? Comment prendrais-je mes responsabilités, pour elle et pour le bébé ?
Trembler pour que la vie gagne
Trembler, c’est le début du chemin. Le matin où j’ai dû aller en urgence à la maternité pour Johanne et Victor, je tremblais de toutes mes forces. Je suis arrivé juste avant la naissance de Gabriel. Il était vivant. Je l’ai baptisé et confirmé. Et pendant la grosse heure que sa vie a duré, tout n’a été qu’amour. Un amour qui se réjouissait et qui s’émerveillait. Un amour qui caressait et qui s’attendrissait. Un amour qui priait et qui pleurait. La vie a gagné, parce que Johanne et Victor n’ont pas eu peur d’avoir peur. Et nous, comment nous préparons-nous ?