Des femmes à l’autel ?
Le 11 janvier 2021, le pape François a autorisé les évêques à instituer des femmes aux ministères de « lecteur » et « acolyte ». Certains, inquiets ou enthousiastes, se demandent s’il s’agit d’un pas vers l’ordination des femmes. D’autres ne comprennent pas cette décision puisqu’ils voient déjà des femmes lire à la messe. Voici quelques éclairages.
Des femmes lisent déjà à la messe, quoi de nouveau avec cette décision ?
A peine le document romain était-il publié que certains journaux affirmaient bien maladroitement que le Pape autorisait les femmes « à lire et à servir à la messe ». Avec cette réforme, François n’entend évidemment pas autoriser une pratique déjà admise depuis plus de cinquante ans ! En effet, aucune mission paroissiale (mise à part celle du prêtre et celle du diacre) n’était jusqu’ici réservée qu’aux hommes : les lectures, la distribution de la communion ou la charge de catéchiste sont des missions bien souvent exercées par les femmes. De nombreux curés estiment cependant qu’il est préférable que les groupes de « servants d’autel » soient constitués de garçons, afin de stimuler l’éclosion des vocations sacerdotales. Ils proposent alors souvent pour les filles d’autres missions spécifiques comme l’accueil, les lectures, la procession des offrandes, etc. La perspective du pape François n’est pas de se prononcer sur ces questions : les jeunes servants de messe ne sont d’ailleurs jamais « institués acolytes » au sens où l’entend le document romain !
Que sont les ministères d’acolyte et de lecteur ?
Le texte du pape François s’inscrit dans la continuité des réflexions de ses prédécesseurs qui ont cherché à rendre l’usage des « ministères institués » cohérent et lisible. Ces ministères correspondent à une mission officiellement confiée par l’évêque pour le service d’une communauté. Cette pratique antique a vite été associée aux étapes de la formation des prêtres si bien que – dans les faits – seuls les clercs recevaient ces ministères qui étaient d’ailleurs appelés les « ordres mineurs ». Le candidat au sacerdoce devenait clerc par la tonsure puis recevait les ordres de portier, lecteur, exorciste et acolyte. En 1972, saint Paul VI souhaite ne pas entretenir la confusion entre ces « ordres mineurs » d’un côté, et l’ordination diaconale et sacerdotale, de l’autre. Seules ces dernières confèrent le sacrement de l’Ordre. Pour garder la valeur des ordres mineurs comme étapes vers le sacerdoce, le « lectorat » et « l’acolytat » ont été conservés et sont encore aujourd’hui des étapes nécessaires pour tout futur prêtre. Le lecteur a une mission liée à la proclamation de la Parole de Dieu. L’acolyte peut aider le prêtre pour le service de l’autel (en particulier pour distribuer la communion) et doit pouvoir conduire la prière des fidèles quand cela est nécessaire. Les ordres mineurs de « portier » et d’« exorciste » ne correspondant plus à un service habituel de la communauté, ils ont été supprimés.
Les « ordres mineurs » avaient donc été remplacés par les « ministères institués », qui étaient ainsi distingués clairement du « ministère ordonné » (diaconat, presbytérat). Ce faisant, Paul VI ouvrait la possibilité d’instituer certains hommes lecteur ou acolyte sans qu’ils soient séminaristes. En 2015, Benjamin et Thomas Pouzin, les fondateurs de Glorious, avaient par exemple été institués « lecteurs » par leur archevêque, pour vivre leur activité de prédication comme une mission ecclésiale stable. Mais en pratique, cette possibilité est très peu utilisée par les évêques.
Quel est l’objectif du pape ?
Depuis la réforme de saint Paul VI, théologiens et pasteurs ont approfondi la réflexion sur l’importance des « ministères institués» dans la vie de l’Eglise. Il s’agit au fond de prendre au sérieux le fait qu’en vertu de leur baptême, certains fidèles peuvent recevoir une mission stable et publique au service de leur communauté. En toute logique, si la capacité à assurer ces ministères découle du baptême, il n’y a pas de raison de les réserver aux hommes. La réforme de François n’est donc pas surprenante.
Mais elle vient interroger nos pratiques pastorales. Les pasteurs sont-ils assez attentifs à la formation et au suivi des catéchistes, des équipes liturgiques, des ministres extraordinaires de la communion ? En confiant une mission, offrent-ils un cadre suffisamment clair et une perspective suffisamment ecclésiale et missionnaire ?
La décision du pape François s’enracine comme d’habitude dans une perspective missionnaire forte. En Amazonie aujourd’hui, dans certaines régions françaises demain, les évêques s’appuieront probablement de plus en plus sur les laïcs pour aider les prêtres à annoncer l’Evangile et parfois à assurer une fonction spéciale au service de communautés sans prêtres. Rien ne saurait remplacer le prêtre car rien ne peut remplacer l’Eucharistie et le pardon des péchés. Mais, tout en priant pour les vocations sacerdotales et en les favorisant, il conviendra de structurer un peu mieux la mission des fidèles laïcs et de donner à leur mission une assise spirituelle et ecclésiale. En fait, c’est déjà l’esprit des bénédictions et envois en mission (catéchistes, responsables de préparation au mariage, équipes liturgiques, etc.) qui accompagnent souvent les messes de rentrée paroissiales. Dans de nombreux diocèses d’Afrique, la mission de catéchiste revêt déjà ce caractère « ministériel » : ils ont la charge officielle de soutenir la vie spirituelle et morale de la communauté locale. Ailleurs, aux Etats-Unis et depuis peu en France, certaines aumôneries universitaires proposent à des jeunes de devenir officiellement missionnaires au sein du campus.
Comment éviter la « cléricalisation des laïcs » ?
Cette réforme doit donc est comprise dans son élan missionnaire : tout baptisé est appelé à mettre ses talents au service de l’évangélisation et il est bon que certains reçoivent des missions reconnues. Cependant, si cette réforme se limitait aux termes du document pontifical (à lire ici), elle court le risque d’être mal comprise ou instrumentalisée.
Le risque majeur est de « cléricaliser les laïcs » et ainsi de faire croire qu’il y aurait des baptisés missionnaires engagés, et d’autres qui pourraient ne pas s’impliquer. Le sacerdoce baptismal ne se vit pas d’abord par des fonctions ou des engagements, mais par une participation personnelle au mystère du Christ dans l’Esprit-Saint. Les formes prises jusqu’à présent par les ministères institués sont encore très liées à l’état clérical. Par exemple, on célèbre les institutions au lectorat et à l’acolytat en aube, en présence de l’évêque, puisqu’il s’agit de futurs prêtres. Comment fera-t-on pour instituer des laïcs sans les cléricaliser ? Il faudrait envisager une réforme du rituel. Plus largement, il faudrait repenser le contenu de ces ministères, et donc leur nom, ainsi que la manière dont le discernement et la formation doivent se faire. Par ailleurs, ne serait-il pas pertinent de réformer la durée de ces ministères qui sont jusqu’à présent conférés à vie ? C’est une des raisons pour lesquelles les évêques sont jusqu’ici assez réticents à de telles institutions.
Sans une telle réflexion, cette réforme pourrait conduire à une catastrophe : au lieu de promouvoir la mission des baptisés, on en ferait des « semi-clercs », pour ne pas dire des « sous-prêtres » ! Dans certains diocèses, en Allemagne et en Suisse par exemple, les fonctions liturgiques d’acolytes et de lecteurs sont souvent réservées à des adultes salariés qui n’appartiennent pas forcément à la communauté. L’effet est dramatique : absence des jeunes servants de messe et désengagement des laïcs. On voit aussi dans certaines paroisses françaises des équipes liturgiques qui se sont trop approprié leur mission et empêchent les jeunes talents de s’impliquer pour ne pas trop changer les habitudes. Là encore, attention à ce que d’éventuels « ministères » ne viennent pas saper la dynamique missionaire.
Enfin, sans cette perspective missionnaire féconde, la réforme risque d’être présentée selon les termes malheureux de la revendication catégorielle (les femmes contre les hommes, les laïcs contre le clergé). D’ailleurs, en distinguant plus clairement les « ministères institués » des « ministères ordonnés » (diaconat, sacerdoce) le Pape donne une assise théologique supplémentaire à l’impossibilité d’ordonner des femmes pour le diaconat, a fortiori le sacerdoce. Une mission dans l’Eglise n’est jamais un « droit » à revendiquer mais un appel à recevoir au service de tous.
Orientons donc nos réflexions dans la bonne direction. L’enjeu de ces réformes n’est pas de savoir si des femmes peuvent apporter les burettes à l’autel… mais bien de savoir comment mieux structurer l’élan missionnaire du peuple chrétien ! Notre perspective n’est pas de trouver des outils pour « survivre » mais de permettre à l’Esprit-Saint d’agir au cœur de tous, fidèles laïcs, religieux et prêtres, pour vivre et annoncer l’Evangile.