Microphone

Dieu sans couvre-feu

Abbé Pierre Amar
14 décembre 2020

La nouvelle est désormais officielle : fin décembre, les Français ne pourront pas sortir le soir après 20h… sauf le soir de Noël ! Le petit enfant de la crèche aura été plus fort que le Covid 19. Mais fallait-il en douter ? Et si nous en profitions tous pour retrouver la magie de Noël ?

Beaucoup d’entre nous déplorent la confiscation, depuis plusieurs décennies déjà, de la fête de Noël. Reconnaissons-le, le 24 décembre au soir est désormais un peu plus le royaume de Mammon (et de Bacchus !) que la célébration de la naissance de l’enfant-Dieu dans la pauvre crèche de Bethléem.

Mais – plus inquiétant – ce lent processus de sécularisation touche aussi les catholiques pratiquants. Un bon indice est la place de la messe, en particulier de la messe dite « de Minuit », dans la célébration de la fête, qui a aussi bien sûr une composante culturelle et familiale.

« Minuit, chrétiens ! »

Autrefois, la messe de Minuit était… à minuit. Elle était même le point d’orgue de la fête. Les retrouvailles familiales, l’échange de cadeaux et le repas festif s’organisaient autour d’elle. Chaque famille avait alors son rituel domestique qui se transmettait de génération en génération. Cette messe aux étoiles, dans le froid et au cœur de la nuit, donnait à cette fête sa part de « magie », de rêve et d’espérance. « Ah ! qu’il est beau, qu’il est charmant ! » chantions-nous allègrement dans cette « Douce nuit, sainte nuit ! ». Évidemment, cela n’a pas la même saveur quand on le proclame à 18h (parfois même plus tôt !), comme c’est le cas aujourd’hui dans beaucoup de paroisses.

L’Église avait initialement prévu trois messes : l’une à Minuit, celle de l’intimité de la crèche, autour de Jésus, Marie et Joseph. Puis la messe de l’aurore, celle des bergers, les « veilleurs », c’est-à-dire ceux qui veulent communier à la paix et l’espérance uniques de cette nuit pas comme les autres. Puis la messe du jour, plus triomphale, pour proclamer l’avènement du Sauveur. Une pièce en trois actes successifs, avec cette conviction qu’une seule messe ne suffisait pas pour déployer la profondeur du mystère.

Alors pourquoi ce changement d’heure de la messe nocturne, depuis une cinquantaine d’années, tout au plus ? Sans doute par commodité, parfois peut-être par désintérêt pour une tradition qui a semblé un peu désuète, mais dont on a voulu garder un petit quelque chose… Histoire de donner une petite note de transcendance à cette habitude profondément enracinée dans la culture ? Hélas, dans notre société de l’immédiateté et de la satisfaction, même la messe en début de soirée avec son côté exotique a fini par disparaître et ne s’est pas transmise aux nouvelles générations.

Deux autres exemples illustrent bien ce phénomène.

La Veillée pascale, d’abord, par laquelle le peuple chrétien – dès les premiers siècles du christianisme – attendait dans la nuit, par des psaumes, des lectures et des chants, les premières lueurs du jour de Pâques pour célébrer la résurrection du Sauveur. Au fil des siècles, cette célébration a perdu de sa ferveur… et finit par être célébrée en catimini (jusqu’au milieu du XXème siècle) le samedi matin. À quand la messe de Minuit, le 24 décembre à 10h du matin ?

Mais c’est surtout la messe anticipée du samedi soir, proposée dans l’Église latine en 1969, qui semble avoir fait tout basculer. Permise pour ceux qui étaient empêchés de se rendre à la messe le dimanche, elle suscita immédiatement beaucoup d’engouement et d’enthousiasme. Dans les années 1970, les églises étaient alors pleines, débordantes de paroissiens qui avaient trouvé là un horaire bien commode. Ne pouvons-nous pas reconnaître que ces assemblées se sont vidées petit à petit ? Beaucoup de ces nouveaux paroissiens ont sans doute trouvé plus commode encore, de ne plus aller à la messe du tout…

Remettre Dieu au centre

Fort de ces expériences passées, n’est-il pas urgent, cette  année plus que les autres, de remettre Dieu au centre ? De replacer au cœur de la nuit de Noël la messe si bien nommée « de Minuit », afin de lui redonner tout son sens ? De vivre en famille un Noël plus authentique ?

Répondons pour cela aux trois objections les plus courantes.

– « Je voudrais bien mais il n’y a plus de messe de Minuit près de chez moi ». C’est vrai et les prêtres sont souvent les premiers à le déplorer ! Mais il faut bien reconnaître que si l’horaire de la messe du soir de Noël est de plus en plus tôt, c’est parce qu’il y a eu de plus en plus de monde aux premières messes (et de moins en moins aux célébrations plus tardives). Il faut ajouter que ces assemblées très nombreuses en « prime-time » ne sont pas uniquement composées de gens moins pratiquants, mais aussi de fidèles bien fervents. Alors, cherchez bien : vous allez certainement trouver dans votre canton une messe au moins un peu plus tardive (21h ou 22h).

– « Nous allons chez ma belle-mère et là, je ne maîtrise rien ! » C’est effectivement plus délicat ! Mais, avec un peu d’habileté, n’arrivez-vous pas à emmener votre belle-mère à la montagne alors qu’elle ne sait pas skier ou à bord du bateau alors qu’elle a systématiquement le mal de mer ? On vous fait confiance pour lui proposer ce nouvel emploi du temps pour le soir de Noël ! Le Saint-Esprit risque même de vous donner un coup de main.

– « Il y aura toute la famille ; c’est compliqué ». Bravo : vous vous retrouvez devant un beau défi missionnaire ! Pendant longtemps, on a pensé qu’un tout petit peu de religion permettait au moins d’entretenir les braises sous la cendre… Et après des dizaines d’années d’expérience, il faut bien conclure par la négative. Ni l’ADAP paroissiale (Assemblée dominicale en l’absence de prêtre), ni la messe à dose homéopathique ne peuvent entretenir une vie chrétienne authentique. Finalement, le risque d’une pratique a-minima (pour ne froisser personne), c’est que tout le monde s’endorme et s’affadisse… Essayez plutôt, avec doigté et charité (!), de présenter votre point de vue : ce sera déjà un bon témoignage. Et si vous avez le courage de persévérer dans votre projet (de toute façon, à minuit, le gueuleton sera fini !), vous verrez sans doute, qu’au bout de quelques années, votre idée sera suivie par d’autres, tandis que l’autre partie de la famille aura tout bonnement cessé de pratiquer…

Pendant les confinements, beaucoup d’entre nous ont très légitimement demandé la messe. Le soir de Noël, le gouvernement lève providentiellement le couvre-feu et nous donne la permission de la nuit. N’est-ce pas l’occasion de (re)découvrir la messe de Minuit et de retrouver quelque chose de la « magie » de Noël ?

En plus – parole de prêtre ! – les messes de la nuit sont les plus recueillies et les plus contemplatives, parce que les groupes d’enfants peu habitués à la messe, ceux qui font justement (beaucoup de) bruit à celle de 18h, ne sont plus là. Alors… on essaie ?

Abbé Pierre Amar

Abbé Pierre Amar

Diocèse de Versailles, ordonné en 2002. Licencié en droit et en théologie. Auteur de "Internet, le nouveau presbytère" (Artège, 2016), "Hors Service" (Artège 2019), "Prières de chaque instant" (Artège 2021) et de divers spectacles (Jean-Paul II, Charles de Foucauld, Madame Elisabeth). De 2013 à 2018, il anime l'émission "Un prêtre vous répond" sur Radio Notre-Dame. Depuis sept. 2019, il répond à "Pourquoi Padre ?" sur KTOtv.

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