Microphone

Une question d’honneur et de dignité

Père Jean-Baptiste Siboulet
08 décembre 2021

Dimanche dernier, le pape a achevé son voyage en Grèce par la visite de l’île de Lesbos, lieu emblématique du sort connu par les migrants qui cherchent à rejoindre l’Europe, parfois au prix de leur vie. Le pape a eu des paroles et des gestes forts pour réconforter ceux qui sont venus s’échouer sur cette île après une longue et dangereuse traversée depuis leur pays d’origine. Face à cette énième interpellation du pape sur la question migratoire, la tentation est grande de fermer les yeux et de se boucher les oreilles, peut-être même avec une pointe d’agacement. Et pourtant, notre honneur est en jeu.

Les derniers épisodes en date font en effet froid dans le dos. En novembre, la Biélorussie montait un coup pour mettre la pression sur les frontières de l’Europe en se servant de migrants syriens, irakiens et yéménites comme armes politiques. Quelques jours plus tard, 27 migrants faisaient naufrage et mouraient dans la Manche alors qu’ils essayaient de rejoindre le Royaume-Uni.

L’Europe est-elle en train de perdre son âme ?

Dans les deux cas, les réactions des responsables politiques européens ont été affligeantes. Pour protéger l’Union Européenne de l’ouverture d’une nouvelle porte d’entrée migratoire, la Pologne, massivement soutenue par tous les autres pays européens, a hermétiquement fermé sa frontière biélorusse, laissant des familles – et donc des enfants – bloqués dans un froid glacial, certains y perdant la vie. L’épiscopat polonais a vigoureusement exhorté le gouvernement à au moins permettre à des médecins bénévoles et des organisations humanitaires de venir au secours de ces migrants. En vain. Quant au dernier drame survenu dans la Manche, plus qu’une émotion de tristesse et de compassion, il a surtout suscité une passe d’arme entre gouvernements français et britannique pour s’en renvoyer la responsabilité. Comment l’Europe en est-elle venue à une telle insensibilité ? 

Sur cette question éminemment complexe et explosive, il ne s’agit évidemment pas d’avoir une vision naïve. Il est bien sûr légitime de réguler les flux migratoires. Il est aussi nécessaire de faire en sorte que les personnes recueillies respectent et adoptent la culture de leur pays d’accueil. Il est tout aussi essentiel de travailler en amont sur les causes qui poussent tant d’êtres humains sur les routes de l’exil. Et personne n’est dupe de l’effroyable stratagème du président biélorusse Loukachenko dont le cynisme terrifie : utiliser la misère et le désespoir d’êtres humains pour servir un agenda politique soulève le cœur.

Mais peut-on sérieusement penser qu’on protégera la richesse et la noblesse de la civilisation européenne au prix de vies humaines ? Croit-on franchement que nous vivrons plus en sécurité en abandonnant à leur sort tragique des êtres humains en détresse ? L’indifférence et le repli sur soi n’ont jamais apporté plus de paix et de tranquillité. C’est malheureusement un signe supplémentaire que l’Europe se coupe toujours plus de ses racines chrétiennes, rongées par la peur et l’égoïsme. C’était d’ailleurs le cri du pape François à Lesbos : « arrêtons ce naufrage de civilisation ! ».

La dignité de l’être humain ne se discute pas

Attention, il ne s’agit pas de dire que nous devons accueillir tous ceux qui veulent entrer dans nos pays d’Europe. La question est surtout celle de l’assistance à personnes en danger dans des situations que nous n’avons pas choisies mais qui s’imposent concrètement à nous : quand des êtres humains, même en situation irrégulière, sont en danger de mort devant nous, que faisons-nous ? 

Si l’on voit quelqu’un en train de se noyer, peu importe qu’il soit en tort en ayant manqué de prudence ou en ayant violé une propriété privée, il y a un impératif humain à le secourir. Il en va de même pour ces migrants. Lorsqu’ils sont concrètement là et qu’ils sont en danger, nous ne pouvons nous soustraire à notre responsabilité humaine de les secourir. Qu’ils soient en situation irrégulière et qu’ils aient leur part de responsabilité dans les risques encourus ne peut nous dédouaner de leur venir en aide. A moins de vouloir faire passer la loi civile avant la loi de Dieu…

Dire cela ne signifie pas qu’on ne puisse pas débattre de politique migratoire, d’identité ou de préférence nationale. Bien au contraire. Et c’est heureux que ces sujets ne soient plus esquivés alors que la campagne présidentielle française est désormais lancée. Mais il y a une chose qui ne se débat pas : c’est le respect de la dignité humaine. Même si l’on estimait ne pas avoir la capacité d’accueillir de nouveaux migrants, les traiter avec humanité sur notre sol pour ensuite les ramener dans leur pays d’origine serait une solution plus digne que de les laisser se noyer ou mourir de froid aux portes du « paradis » européen. Peut-être faudrait-il en ce sens assouplir les conditions de reconduite à la frontière des migrants en situation irrégulière pour que le fait de venir à leur secours n’aboutisse pas de facto à leur accorder un titre de séjour.

Consentir à ne pas avoir la conscience tranquille

Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas de faire la morale à qui ce soit. Reconnaissons seulement que nous avons une capacité d’indignation à géométrie variable. Quand nous ne sommes plus touchés par les personnes qui dorment dans le froid à notre porte, c’est que notre cœur s’est en partie refermé sur nous-mêmes et que nous n’avons pas pris la mesure de ce que signifie le caractère sacré et inviolable de la dignité humaine. La dignité de l’être humain nous arrachera toujours à notre tranquillité. Comme nous y invite le pape, « ayons le courage d’éprouver de la honte ».

En ces jours où nous nous préparons à célébrer la naissance d’un Dieu qui se fait homme, laissons-nous interpeller par la dignité de ce petit bébé, pauvre et fragile : il nous rappelle que toute vie humaine est sacrée. En ce sens, Noël est plus qu’une fête douce et paisible, c’est aussi une douloureuse piqûre de rappel qui vient réveiller nos consciences endormies.

Père Jean-Baptiste Siboulet

Père Jean-Baptiste Siboulet

Diocèse de Nantes, ordonné en 2017, prêtre de la communauté de l’Emmanuel (emmanuel.info). Licencié en droit et en ecclésiologie/œcuménisme. En ministère à la paroisse Sainte-Madeleine de Nantes et aumônier d'étudiants. Aime le piano, le rugby, l'auto-stop et la rando.

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