Un nouveau président… et maintenant ?
Monsieur Macron a été élu président de la République ce dimanche 7 mai 2017. La campagne électorale laisse une France épuisée, déchirée et profondément fracturée. L’enthousiasme est réel chez certains ; la colère, la déception, l’inquiétude, le ressentiment sont grands chez beaucoup, à droite comme à gauche.
Nous avons volontairement fait le choix, avant le premier tour comme avant le second, de garder le silence et de ne donner aucune consigne de vote, suivant en cela l’avis plein de sagesse de Mgr Pontier, président de la Conférence des Evêques de France. L’Eglise propose des critères de discernement, elle interpelle et éclaire les consciences – et elle continuera de le faire – mais elle n’infantilise pas les fidèles en choisissant pour eux le bulletin de vote qu’ils doivent glisser dans l’urne. La conscience a besoin d’être éclairée, elle a le droit de ne pas être forcée. Que pouvons-nous dire et rappeler maintenant, pour continuer d’éclairer les consciences ?
Ce président est désormais le nôtre
L’autorité – dès lors qu’elle est légitime – doit être reconnue par tous. La fonction dépasse la personne. Depuis les premiers siècles, l’Eglise invite les fidèles à prier pour ceux qui gouvernent, quels qu’ils soient. Certains n’auront pas de mal, ayant voté pour Emmanuel Macron et persuadés qu’il est l’homme de la situation. Ce sera plus difficile pour les autres, ceux qui n’ont pas voté pour lui et qui ont été blessés par ce qu’ils ont pu entendre pendant la campagne. Le débat des idées ne doit cependant jamais devenir un combat contre les personnes.
Monsieur Macron est désormais président de la République, chef de nos armées et, par sa fonction, incarne notre pays. On peut souhaiter pour le bien de la France – quelles que soient nos opinions – que la fonction élève l’homme et que celui-ci se montre à la hauteur d’une mission qui dépasse les clivages partisans. Il n’est plus l’homme d’un mouvement, il devra se montrer le président de tous.
Il faut redonner tout son éclat et son autorité à la fonction présidentielle, au service du bien commun et non d’intérêts particuliers, d’idéologies destructrices ou de revendications communautaristes. Aux yeux de beaucoup, chrétiens ou non, le précédent quinquennat aura divisé les français et fragilisé le pays. Emmanuel Macron a évoqué à plusieurs reprises sa volonté de réconcilier ses compatriotes : nous l’attendons en particulier sur ce point, tant notre pays a besoin d’être rassemblé face aux crises qu’il affronte. Certaines influences dans son entourage et certains points de son programme nous inquiètent. A lui de nous rassurer, s’il veut rassembler.
Restons des veilleurs, devenons des bâtisseurs
La mission des chrétiens – des clercs et des fidèles, chacun selon sa vocation – peut se résumer en deux aspects : veilleurs et bâtisseurs.
Nous continuerons à veiller, c’est-à-dire à chercher à éclairer les consciences en partageant et en vivant concrètement la Parole que nous avons reçue.
Nous sommes appelés à rendre témoignage à la Vérité dans une société marquée par le relativisme. Dire humblement, mais clairement et courageusement, la vérité sur tout ce qui atteint la dignité de la personne humaine et en particulier celle du plus fragile : le chômeur, le réfugié, la personne handicapée, mais aussi l’embryon ou la personne en fin de vie… Nous continuerons à dénoncer tout ce qui contredit à nos yeux le bien commun véritable, même si cela ne nous touche pas forcément dans notre quotidien immédiat. Il nous faudra travailler encore plus pour expliquer ce qui n’est plus évident pour tous. Le champ culturel est immense ; il est même premier.
S’il nous faut dénoncer les atteintes au bien commun, il nous faut aussi et d’abord construire, à moins de perdre toute crédibilité. Avec la même liberté intérieure, nous aurons à cœur d’encourager et de soutenir ce qui va dans le bon sens. Le bien n’a pas d’étiquette partisane. Si une mesure est bonne pour la société, il faut la soutenir, quelle que soit la couleur politique de celui ou celle qui la propose.
Il nous faut bâtir. Il y a là un vrai travail pour nous, chrétiens : comment proposer, là où nous sommes engagés, des solutions concrètes pour faire progresser les choses ? Des solutions inspirées de nos convictions, mais dont tous les hommes et les femmes de bonne volonté peuvent se saisir ? Des solutions à mettre en œuvre au niveau local, dans les régions, les départements, les villes ? Les chrétiens doivent prouver qu’ils ne sont pas seulement des prophètes ou des témoins, mais aussi des bâtisseurs bien enracinés dans le réel et capables d’incarner leur idéal pour permettre un mieux possible. Le pape François nous l’a rappelé avec force : nous ne pouvons pas nous contenter d’être des commentateurs de l’histoire, il nous faut participer à faire l’histoire. Et cela vaut pour l’histoire des cinq années qui viennent, mais aussi les suivantes !
Préparer une nouvelle génération d’élus
Dans cette campagne, beaucoup auront déçu. De cette campagne, beaucoup sortiront déçus, avec l’impression que la France n’a pas eu le débat de fond qu’elle méritait et dont elle avait besoin…
« Le démon de mon cœur s’appelle – A quoi bon ? », écrivait Georges Bernanos (Les grands cimetières sous la lune, 1938). Ce démon est puissant, surtout auprès de ceux qui sortent le cœur triste ou mitigé de cette campagne. Beaucoup se sont engagés avec passion et générosité et finissent amers, déçus ou pleins de colère et de ressentiment contre tel camp, contre « le système », « les médias », « la politique ». D’autres – heureux de la victoire de leur candidat – pressentent en même temps la gravité des enjeux qui attendent notre pays.
Dans tous les cas, il semble que cette campagne aura rappelé aux catholiques la nécessité de construire une nouvelle génération d’élus, et donc de s’inscrire dans le temps long, sans se désintéresser pour autant des rendez-vous plus immédiats (comme celui des législatives par exemple). Ce qui s’est peu à peu défait ces cinquante dernières années, ne pourra être rebâti qu’en acceptant d’y mettre autant de temps. L’erreur est de tout attendre, de trop attendre, tout et tout de suite, de nos responsables politiques d’aujourd’hui. Il nous faut accepter d’apporter notre effort à la refondation dont nous avons besoin. Ce n’est pas forcément d’abord une question de structures. Mais c’est surtout une nouvelle génération, plus libre, plus enracinée, mieux formée, qu’il faut préparer aux responsabilités et faire se lever. Déjà dans les villes, les régions, les départements, de nouveaux visages sont arrivés. Demain à l’Assemblée, de nouvelles figures vont émerger. Sans jamais se décourager, que les catholiques se remettent au travail, là où leur conscience les appelle à s’engager. Ne perdons pas de temps à nous invectiver ou à cultiver nos rancœurs. «Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment » rappelle saint Paul. Ces derniers mois auront été riches en enseignements. Nous restons attendus. Sur le terrain politique mais aussi sur celui de la culture, de l’éducation, de l’économie, du social, de l’écologie…
Ce pays nous est confié, rien nous fera renoncer à vouloir le servir. « Malgré fatigue et contradictions » comme le dit la belle prière des Routiers-scouts, la vie est belle même si elle est parfois rude et vaut la peine quand elle est donnée et engagée !
Les Padre+