Le poids d’un secret
Avis de tempête sur le secret de confession… Il y a quelques mois, par l’intermédiaire d’une commission d’enquête australienne et d’une déclaration du ministre de la Justice belge, le secret du confessionnal a été brusquement remis en cause. En France, dans le cadre d’une mission d’information sur la protection des mineurs, le Sénat n’a pas manqué d’interroger les représentants de l’Eglise catholique. Enquête sur ce secret professionnel pas (du tout) comme les autres.
L’existence du secret de confession et son respect strict est – pour le moment – consacré par la loi (articles 226-13 et 14 du Code pénal) comme par la jurisprudence. Mais il est considéré comme un secret professionnel de plus, qui place le prêtre au même rang que le médecin ou l’avocat. Or, dans le cadre par exemple de la protection des plus fragiles ou de la prévention du suicide, des professionnels soumis au secret peuvent déjà partager des informations, en invoquant une option de conscience. Mais qu’en est-il des prêtres ?
Même chez des catholiques pratiquants et convaincus, on perçoit un trouble naissant : et si le prêtre entend en confession un cas de pédophilie ? Ne peut-il pas rompre ce secret ? Et s’il peut prévenir un suicide, ne doit-il pas parler ? Toute règle a bien ses exceptions, qui la confirment et la renforcent. Ne devrait-il pas en être de même pour la confession ? Questions et réponses.
Les prêtres parlent-ils entre eux des confessions qu’ils ont entendues ?
Non. Pas même avec leur évêque. Il peut arriver que des prêtres, manquant encore d’expérience ou soumis à une situation complexe, évoquent avec un aîné « un cas » afin d’obtenir un conseil ou un avis. Mais sans aucunement révéler ni le lieu, ni l’identité du pénitent, ni les circonstances qui rendraient alors la situation facilement identifiable. Au cours de la formation d’ailleurs, les professeurs de séminaire ne manquent pas d’exemples et soumettent leurs étudiants à une multitude de « cas pratiques ».
Ce secret ne doit-il pas connaître des exceptions ?
Non. Même si, à l’heure de la transparence et de la vérité chères aux sociétés démocratiques, mais aussi des cas lamentables et monstrueux de pédophilie dans l’Eglise, ce secret connaît une acuité nouvelle. Le soupçon pointe : par le secret de confession, des prêtres ne cacheraient-ils pas les abominations de certains de leurs confrères ? De multiples enquêtes ont en plus révélé qu’il y avait une certaine omerta dans l’Eglise, pratiquée au plus haut niveau.
Mais il ne faut surtout pas se leurrer : les délinquants et prédateurs sexuels qui se dénoncent eux-mêmes, au confessionnal ou ailleurs, sont quasi inexistants. La réalité est hélas toute autre. Si toutefois un pénitent confiait de tels actes, le confesseur renverrait immédiatement le coupable à sa conscience pour l’exhorter à regretter ses actes, à les assumer et à les réparer.
Comme l’écrivait récemment un curé parisien : « En fait, la confession est une rencontre qui relève d’une gratuité absolue. Il est donc fondamental que le secret soit lui aussi absolu. Paradoxalement, sans le secret, il n’y aurait pas de paroles possibles et donc pas de salut possible. Cette obligation permet une vraie liberté, une vraie confiance et de vraies avancées. La confession est le seul lieu où toute personne peut se livrer dans une vérité complète. C’est le seul lieu où la conscience individuelle est réellement respectée et où elle peut véritablement se livrer. Elle se confie pour un salut et éventuellement un pardon qui ne dispensent pas de la justice humaine. Et peuvent aussi la permettre ».
Et si, au cours d’une confession, une victime révèle l’agression qu’elle a subie : le prêtre peut-il parler ?
Non. Toujours pas. Ce sera tout « l’art » du confesseur d’écouter et, avec patience et pédagogie, d’accompagner la personne à sortir du secret par elle-même.
En réalité, ce secret est une véritable chance et un trésor. Il favorise un cheminement pour l’avènement de la vérité et de la justice. S’il n’existait pas, beaucoup de victimes ne parleraient pas et s’enfermeraient dans une logique de culpabilité. Peut-être faut-il ainsi décrypter le retour progressif du confessionnal, jadis délaissé, et le droit réaffirmé du confesseur et du fidèle de pouvoir l’utiliser ? Il permet en effet une confession la plus anonyme possible.
Il y a-t-il, dans l’Eglise, une peine pour le prêtre qui violerait directement le secret de confession ?
Oui. Et la plus lourde qui soit : l’excommunication, immédiate, sans appel et sans procès. Pour être relevé de cette peine, il faut recourir directement à Rome, auprès d’un tribunal spécial : le tribunal de la Pénitencerie apostolique.
A noter : une excommunication est également prévue pour ceux qui divulgueraient le contenu d’une confession par un moyen de communication sociale ou l’enregistreraient de quelque façon que ce soit. Cette peine s’applique que la confession soit vraie ou fictive, qu’elle soit celle de la personne qui enregistre ou divulgue elle-même sa propre confession ou dont une tierce partie enregistre ou divulgue les paroles, que les paroles soient celles du pénitent, du confesseur ou des deux.
Le secret de confession est-il inviolable ?
Oui. Il n’admet aucune exception ni aucune dispense car l’Eglise veut protéger la sainteté du sacrement de la réconciliation, mais aussi éviter tout abus et toute pression. Il faut également noter que le prêtre est toujours tenu à ce secret avec le pénitent lui-même et quand bien même il n’aurait pas donné l’absolution, considérant par exemple que le pénitent ne regrette pas son péché, ou qu’il ne désire absolument pas le réparer ou même s’il est décédé.
Si un pénitent souhaite qu’une information confiée durant une confession soit connue, c’est à lui-même de trouver le moyen de le faire et, en aucun cas, d’impliquer son confesseur. Quoique déjà un peu ancien, le film « I confess » du maître du suspense Alfred Hitchcock en est une belle illustration (« La loi du silence » dans son adaptation française).
La justice des hommes pourrait-elle condamner des prêtres pour cela ?
Oui, peut-être, un jour. Car l’Eglise ne reviendra jamais sur ce principe. Légiférer contre le secret de confession serait une atteinte à la liberté religieuse et gravement contraire à notre foi. L’histoire de l’Eglise contient des cas où des prêtres l’ont payé de leur vie. Saint Jean Népomucène en est le héros le plus tragiquement célèbre : confesseur de la reine Sophie de Bavière, que son mari Wenceslas IV soupçonnait d’adultère, il refusa de révéler la teneur des confessions de sa pénitente, fut torturé à mort et jeté dans la Moldau le 20 mars 1393, à Prague.
On comprend que pour un Etat laïc, affirmer ainsi la prééminence de la loi de l’Eglise sur la loi des hommes suscite des crispations. Par ailleurs, la méconnaissance de ce sacrement est importante et multiplie les fantasmes. Ceux qui affirment par exemple que « Chez les catholiques, tout est facile : un péché, une bonne confession et hop… tout est réglé ! » révèlent en fait tout simplement qu’ils ne se confessent jamais.
Car la confession est un tribunal d’un autre type : le tribunal de la miséricorde. Comme dans chaque sacrement, on n’y a pas rendez-vous avec le prêtre, qui est lui-même un pauvre pécheur. On y a rendez-vous avec Dieu. Et celui ou celle qui dépose le poids de son péché au confessionnal est d’abord celui qui regrette et ne veut plus rechuter. Qui assume et veut s’en sortir, y compris en prenant les moyens pour cela.
Avec – et surtout – le secours de la grâce de Dieu.