Profanations en série : dans le cœur d’un prêtre
Encore plusieurs profanations et cambriolages dans les églises de Seine-Saint-Denis. Pour approfondir ce sujet et aller au-delà des analyses fragiles et peu nombreuses des médias sur le sujet, le Père Jean-Baptiste Bienvenu est allé rencontrer le curé de Bondy, le Père Henry Dollié. Une interview en vérité, dans le coeur d’un prêtre qui exerce son ministère au milieu des cités.
Père Jean-Baptiste Bienvenu : En début de semaine, l’église saint Pierre de Bondy a été profanée et cambriolée. Vous en êtes à la cinquième dégradation en un an : quels sentiments habitent votre cœur de prêtre ?
Père Henry Dollié : Mon sentiment, c’est évidemment la colère et aussi une certaine lassitude face à cette agressivité, cette barbarie gratuite. Mais en même temps, je me dis que l’Église dérange. Au plan financier, ces dégradations ne rapportent rien à ceux qui les commettent. Les attaques sont en fait d’ordre symbolique. Brûler un autel, profaner un tabernacle, c’est de l’ordre symbolique. L’Église continue de représenter quelque chose de fort, même si les gens ne savent pas forcément mettre des mots dessus. Nous ne laissons pas indifférent.
Au milieu de la ville, nos église resteront ouvertes. On est très vulnérables, on choisit de l’être et c’est un signe donné pour la ville dans un climat général très tendu, très agressif. Toute cette jeunesse n’a pas de repères, elle grandit n’importe comment, sans modèle. Alors mon coeur de prêtre est aussi saisi d’un grand sentiment de pitié. Pauvres jeunes : dans un autre contexte, ils auraient pu être tellement différents.
Les dégradations dans les églises de Seine-Saint-Denis sont nombreuses. Y a-t-il une violence spécifiquement dirigée contre les lieux chrétiens ?
En fait, ce sont tous les symboles qui sont attaqués. La mosquée de Bondy aussi a été dégradée. Les élus sont régulièrement menacés à travers des tags dans la ville, insultés sur les réseaux sociaux. Il y a eu des voitures brûlées. Les élections municipales à Bondy doivent être rejouées dans quelques jours. C’est toute la ville qui est tendue, dans son climat général, politique, religieux, social.
Votre paroisse est dynamique, joyeuse et évangélisatrice, et vous animez un des plus gros patronages de la ville avec l’association Le Rocher Oasis des cités. Comment construit-on des liens d’estime avec les autres religions, en particulier l’Islam ?
J’ai des relations bonnes, mais très formelles. Il faut être honnête, les liens sont compliqués car le dialogue ne va souvent que dans un sens et on ne réussit pas à parler des choses essentielles : la prière, la relation avec Dieu.
Le lien qui existe vraiment, c’est celui de la charité concrète. Avec Le Rocher, on est au contact de beaucoup de familles musulmanes. Elles sont sincèrement affectées par ce qui se passe et elles nous manifestent leur solidarité. Oui, Le Rocher est très estimé dans la cité.
Comment ne pas tomber dans le découragement ou dans la rancœur ? Quels conseils donnez-vous à vos paroissiens pour les soutenir ?
Je suis touché par l’énorme sursaut de la foi. La messe de réparation a été très fréquentée. Les chrétiens tiennent bon, ils proposent leurs services, ils se cotisent pour réparer les dommages. D’ailleurs, notre paroisse comprend aussi des Chaldéens et des Tamouls qui ont fui leur pays d’origine parce qu’ils ont été persécutés. Pour eux, il est clair que la persécution des chrétiens fait partie de l’ordinaire. Alors, loin d’être résignés ou découragés, avec eux, nous nous retroussons les manches et nous restons debout.
Par ailleurs, la violence contre l’eucharistie nous invite à un surcroit d’adoration, de vénération du Seigneur et de vie spirituelle. Là-aussi, plus que jamais, on continue car l’amour vaincra.
Voilà. Être prêtre à Bondy, c’est à la fois vivre dans un contexte dur, tendu, agressif. Mais c’est aussi vivre au quotidien des choses simples et vraies, au contact de personnes authentiques et ferventes. Je rends grâce à Dieu pour ce ministère. Priez pour nous!