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Force d’âme

Abbé Pierre-Hervé Grosjean
21 mars 2020

Nous sommes dans le calme qui précède la tempête. Une sorte de veillée d’armes, avant la grande épreuve que nous annoncent nos soignants et que connaissent déjà nos frères d’Italie. Une épreuve sanitaire sans précédent que notre pays va encaisser brutalement et que nous allons vivre tous ensemble.

Dans ces moments de crise se redécouvrent les vertus qui permettent de tenir quand tout semble s’effondrer. Parmi elles, la vertu de force. Cette force d’âme dans l’épreuve qu’il nous faut retrouver et demander au Seigneur sans tarder, car « l’heure vient… ».

La force affermit l’âme dans la poursuite d’un bien difficile à atteindre, sans se laisser ébranler par la peur, y compris la peur de la mort. Elle est le fruit de nos efforts pour la cultiver et surtout de la grâce de Dieu, sans qui nous ne pouvons rien et qui « vient au secours de nos faiblesses » (Rm 8,26).

A quoi sert cette force d’âme ? Elle nous porte à agir de deux façons : entreprendre et durer.

Forts pour entreprendre

La force d’âme nous aide à entreprendre ce qui est nécessaire – même si cela est souvent difficile – en vue du bien à réaliser sur terre : notre vocation, notre devoir d’état, notre mission (prier, aimer, servir) et aussi du bien final qu’est la vie éternelle.

Nous savons bien souvent ce qu’il faudrait faire pour accomplir le vrai bien que Dieu nous propose. Nous connaissons les joies vraies qu’Il nous appelle à vivre. Mais il nous manque parfois une force d’âme pour choisir de nous lancer, pour décider d’accomplir ce que Dieu veut, pour devenir les saints qu’Il attend. « Il faudrait…, ce serait bien si…, j’aimerais… » : notre vie reste au conditionnel. Pas par méchanceté de notre part, mais par faiblesse ou paresse, peut-être aussi parce qu’on est parfois « pusillanime ». Par peur d’une vie bousculée ou exigeante, même si nous savons qu’elle serait belle, nous préférons rester dans notre zone de confort, sans prendre le risque de vraiment suivre Jésus !

Un livre à lire !

« Il faudrait si peu de choses pour que des vies honnêtes deviennent des vies saintes. Simplement un plus grand amour de Dieu, une plus grande soumission à sa volonté, la pensée du sacrifice et de la perfection dans les moindres actions quotidiennes. C’est tout » écrivait avec lucidité Guy de Larigaudie dans « Etoile au Grand Large ».

Beaucoup de nos péchés ne sont-ils pas finalement dus à cette faiblesse ? C’est la plainte de saint Paul qui nous rejoint tous. C’est notre grand drame qui nous fait pleurer souvent sur nous-mêmes et sur nos fautes : « Je n’arrive pas à faire le bien que je voudrais faire, et je fais le mal que je ne voudrais pas faire » (Rm 7,19). Bien sûr, nous traînons cette fragilité depuis le péché originel, blessure brûlante qui nous marque tous. Elle explique pourquoi la vie est un combat, pourquoi vouloir être un saint ne peut se faire sans mener ce combat avec courage.

Après nous avoir ainsi aidé à décider de mener la bataille pour accomplir le bien, la force d’âme active notre générosité dans l’effort. Elle soutient notre persévérance au-delà des chutes, des doutes et des blessures. Il faut être fort pour vouloir le bien dans la durée, tenir et reprendre sans cesse ses résolutions, maintenir le cap… y compris quand les obstacles ou les épreuves s’accumulent.

De relèvement en relèvement, dans le calme ou la tempête, qu’il nous soit donné la force de « faire ce que nous devons, et d’être à ce que nous faisons ». C’est ce que saint Josemaria proposait comme définition de la sainteté ordinaire. La force d’être fidèles et généreux dans ce que Dieu, notre pays et nos frères attendent de nous.

La force d’âme s’oppose à la paresse mais aussi au découragement devant les obstacles, les tentations ou les chutes. Je cite souvent ces mots de Bernanos : « Le démon de mon cœur se nomme “à quoi bon” ». Le grand combat sera toujours celui contre le découragement.

Forts pour endurer

Marie, forte et douloureuse le vendredi saint. (Image du film « La Passion du Christ »)

La force d’âme permet aussi d’endurer les épreuves. Saint Thomas d’Aquin dit même que c’est l’acte le plus éminent de la vertu de force : « Tenir bon dans les périls ». Pour cela, dit le théologien, il faut que le cœur ne soit pas brisé par la tristesse, et que, souffrant les difficultés de façon souvent prolongée, on ne finisse pas par abandonner : « Ne vous laissez pas fatiguer en perdant cœur » (He 12, 3). Il faut tenir… c’est le malade qui continue d’espérer et de lutter sur son lit d’hôpital ; c’est le soldat ou le soignant qui donne ses dernières forces en attendant la relève ; c’est le chrétien qui lutte dans la nuit de la foi contre le doute ; c’est le pécheur, accablé de tentations et de combats intérieurs, qui persévère à se laisser aimer et pardonner ; c’est l’éprouvé qui veut croire que le mal n’aura pas le dernier mot. C’est chacun de nous luttant pour espérer, dans nos épreuves visibles ou intimes, épreuves non choisies, épreuves qu’on ne peut imaginer sans trembler. Seul celui qui a déjà souffert – d’une grave maladie, de la perte d’un enfant ou d’un parent, de blessures profondes du cœur ou de l’âme – sait un peu. Et même lui se tait. L’épreuve qui vient nous rend humbles. Serons-nous assez forts ? Aurons-nous cette force d’âme ? Serons-nous fidèles ?

Une vertu à exercer, un don à demander

Comme toutes les vertus, la force d’âme grandit quand nous la cultivons. Nous avons une part de responsabilité dans ce que nous devenons. On devient généreux en posant des actes concrets de générosité. A force de les poser, nous prenons « l’habitude » d’être généreux et cela devient plus facile. Cette générosité finit même par marquer notre agir, notre caractère et notre personnalité. Il en va de même pour le courage et la force d’âme. Les multiples petites occasions de faire preuve de plus de courage dans nos luttes du quotidien nous sont offertes pour faire grandir cette force d’âme. Tous peuvent ainsi l’acquérir peu à peu afin d’être prêts. L’ordinaire prépare l’extraordinaire. C’est toute l’importance du quotidien, parfois banal à nos yeux voire ennuyeux, mais qui nous prépare en fait aux grands rendez-vous.

Attention cependant à ne pas tomber dans le volontarisme, qui consisterait à croire qu’à la simple force de nos poignets, nous allons pouvoir être assez forts pour vivre comme des saints. C’est le meilleur moyen de se décourager, et c’est surtout orgueilleux : nous oublions que nous avons besoin de Dieu pour être sauvés !

Il est normal de ne pas se sentir à la hauteur des épreuves qui peuvent nous attendre. Il est normal de faire l’expérience de notre fragilité dans nos résolutions ! Qui oserait dire : « Je suis assez fort tout seul ! » ? Qui peut affirmer n’avoir jamais connu la peur ou le découragement dans ses luttes et ses combats ? C’est pour cela qu’il ne faut jamais oublier que cette force d’âme est aussi et surtout un don. C’est même un des sept dons du Saint-Esprit ! Un don à demander ardemment, à « réactiver », à accueillir sans cesse de façon nouvelle. Il faut demander la force dont nous allons avoir besoin. Il faut prier et entendre le Seigneur nous redire ces paroles qu’on aime souvent chanter, inspirées d’Isaïe 43 :

« Ne crains pas, je suis ton Dieu, c’est moi qui t’ai choisi, appelé par ton nom.

Tu as du prix à mes yeux et je t’aime. Ne crains pas car je suis avec toi.

Toi mon serviteur, je te soutiendrai, toi, mon élu que préfère mon âme,

Je mettrai en toi mon Esprit, je te comblerai de mon Esprit ( …)»

 

Bienheureux celui qui sait reconnaître qu’il a besoin de Dieu ! Être fort, ce n’est pas être téméraire ni être orgueilleux. Penser être fort par soi-même risquerait de nous faire confondre force et violence, ou force et dureté de cœur. Être fort, c’est accueillir la force de Dieu, c’est reconnaître que c’est Lui qui nous rend forts : « Le Seigneur est ma force et mon rempart ; à lui, mon cœur fait confiance » (ps 27). Être fort, c’est vouloir l’être à la façon du Christ – tout l’évangile en témoigne – et seul Lui peut nous donner de l’imiter. C’est aussi suivre l’exemple de Notre-Dame debout au calvaire, de saint Joseph protégeant son épouse et l’enfant dans la tourmente de l’exil et l’angoisse de la persécution. C’est marcher sur les pas des martyrs et des saints qui nous sont donnés en exemple. Dans leur vie, nous contemplons la force de Dieu qui était à l’oeuvre.

L’homme ou la femme fort est donc finalement un homme ou une femme de prière, qui se sait faible mais se laisse habiter, encourager et fortifier par Dieu. Voilà pourquoi croire rend fort : « La foi et la force vont ensemble. Le chrétien n’est pas violent, mais il est fort. Et avec quelle force ? Celle de la douceur. La force de la douceur, la force de l’amour. La foi est force d’âme ! » disait le pape François à l’audience du 15 septembre 2019.

Etre prêts

« Voici que l’heure vient ». Je suis le premier à ne pas me sentir assez fort, à souvent douter d’être à la hauteur de ma mission. Mais je sais aussi que le Seigneur n’abandonne jamais les siens. Vous non plus, chers amis, n’ayez pas peur ! Mais ne traînons pas, ne soyons pas insouciants. Il faut nous préparer. Pour demain. Pour après-demain. Quand il faudra rebâtir. Prions. Vraiment. Encourageons-nous mutuellement. Puis choisissons. Avec la grâce de Dieu, nous ferons de notre mieux pour servir. Ensuite, quoiqu’il se passe, nous savons que nous pourrons chanter un jour tous ensemble ces versets du psaume, qui semblent avoir été écrits à l’issue d’une longue nuit de tourmente : « Je chanterai ta force, au matin j’acclamerai ton amour. Tu as été pour moi un rempart, un refuge au temps de ma détresse. Je te fêterai, toi, ma forteresse : oui, mon rempart, c’est Dieu, le Dieu de mon amour » (ps 58).

Abbé Pierre-Hervé Grosjean

Abbé Pierre-Hervé Grosjean

Diocèse de Versailles, ordonné prêtre en 2004. Curé de Montigny-Voisins. Responsable des questions politiques, de bioéthique et d'éthique économique pour le diocèse de Versailles. Auteur de "Aimer en vérité" (Artège, 2014), "Catholiques, engageons-nous !" (Artège 2016), "Donner sa vie" (Artège 2018), "Etre prêt" (Artège, 2021).

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