Le soir de Noël un homme a coupé le calendrier en deux
Avant Jésus-Christ. Après Jésus-Christ. Depuis la nuit de Noël, rien n’est plus comme avant. Un homme a coupé le calendrier en deux. Lorsque nous signons un chèque, lorsque nous datons un document, lorsque nous célébrons la Saint-Sylvestre, nous affirmons indubitablement et inconsciemment que Noël est le plus grand événement de l’histoire humaine. Chaque année, le temps qui passe est singulièrement ajusté à cette date, de nos horloges à nos contrats. Qu’on croit au ciel ou bien qu’on n’y croit pas, comme le remarque l’historien anglais Tom Holland, Noël fait de nous « les éternels débiteurs du christianisme ».
Nous voici donc 2019 ans et, bientôt, 2020 années après Jésus de Nazareth. Paradoxalement, la date précise de la naissance du bébé le plus célèbre du monde n’est pas vraiment connue. Les spécialistes sont d’ailleurs unanimes pour estimer que l’événement de la crèche a eu lieu entre l’an 7 et l’an 5 d’avant notre ère. Mais qu’est-ce que cela change ? Comme le dit le vieux cantique : « Il est né le divin enfant » et puis… voilà !
Le soir de Noël, beaucoup iront donc dans les églises pour commémorer avec les chrétiens la naissance d’un enfant au destin unique. Comme lors de la triste nuit de feu qui a emporté la flèche et la toiture de Notre-Dame de Paris, beaucoup se souviendront de notre histoire fondatrice et réaliseront qu’il existe « des lieux où souffle l’Esprit » et où l’on sent battre intensément le cœur de la France. Mais que tous prennent garde : il se pourrait bien que le petit Jésus ne bouleverse pas que le seul calendrier et affecte également la vie de ceux et celles qui accepteront de se laisser toucher par son histoire archi-connue et pourtant inouïe. Car si l’enfant de Bethléem est bien celui dont on affirme qu’il est Dieu, l’événement est prodigieux. Il y a 50 ans – nous l’avons célébré cette année – l’homme a marché sur la lune. Mais il y a deux mille ans, pour plus de 2 milliards de croyants aujourd’hui, Dieu a marché sur la terre. L’évènement donne à la fois toute sa dignité à l’homme et toute sa dignité à la terre, minuscule planète perdue dans un cosmos gigantesque.
« Stupeur et émerveillement » : c’est le résumé que vient d’en faire le pape François dans un texte méditatif sur la crèche. Si Dieu s’est fait enfant, cela veut dire que le tout-puissant s’est fait fragile et pauvre, vulnérable et dépendant. S’il a résolument choisi la fragilité, alors chacun d’entre nous peut se sentir compris et surtout aimé, tel qu’il est. Si le Créateur veut se faire si proche de l’homme, devenir son ami, son frère et son sauveur, c’est qu’il accepte de faire ce que font tous les amis : se mettre dans une relation d’égalité et se regarder au même niveau. Dieu avec l’homme, ensemble : pourquoi pas ? Et si c’était vrai ? Beaucoup y croient, et pas que nos grands-mères ! Certains ont été tellement inspirés par ce message qu’ils ont réussi à faire reculer les barrières de la pauvreté, dénoncer des inégalités ou faire s’effondrer des totalitarismes, de Mère Teresa à Jean-Paul II. La grande majorité, cependant, reste dans l’ombre, silencieuse mais pas inactive. L’infidélité de certains attire certes les projecteurs car un arbre qui tombe fait plus de bruit que toute une forêt qui pousse. Mais rien n’anéantit les efforts d’une majorité dynamique et discrète, pauvre par choix au milieu de tant de pauvretés non choisies, servante généreuse au milieu des nations, créatrice de fraternité, veilleuse de l’espérance, sentinelles de la foi au cœur des villes et des campagnes.
Car depuis le soir de Noël, le mal est bien sûr toujours à l’œuvre. Mais cette nuit-là, qui trouvera son accomplissement à Pâques, on a enfin vu poindre une lueur devant laquelle les ténèbres ne peuvent dorénavant que reculer. Un libérateur propose désormais à tous les hommes de bonne volonté de le suivre. A sa suite, chacun peut désormais décider de se laisser illuminer par la lumière de Bethléem. Avant le repas de fête, le temps d’une messe, d’une prière et d’un silence, il suffit d’accepter de lâcher prise. Souvenons-nous de nos yeux d’enfant écarquillés devant tant de splendeur et de beauté !
Et si c’était cela la « magie de Noël » : une invitation ? Une invitation à nouer une alliance : une alliance personnelle, objective et optimiste avec un enfant qui vient nous sauver de la désespérance. Un enfant qui offre son amour et sa paix. Un enfant qui vient nous révéler que chacun d’entre nous a un prix fou à ses yeux. Un enfant qui vient consoler tous ceux et celles qui se laissent regarder par lui, comme s’il semblait leur dire au plus profond du coeur : « Je viens jusqu’à toi, je suis pour toujours avec toi. Pour qu’un jour tu puisses aller jusqu’à moi ».
[Tribune parue dans Le Figaro « Vox » du 24/12/2019]