Le Pape et les lapins
De retour des Philippines après un voyage triomphal (il a notamment célébré la messe devant plus de 6 millions de personnes, ce qui en fait le plus grand rassemblement humain connu de l’histoire) le pape François a – comme souvent – eu recours à des propos qui bousculent. Interrogé sur la question de la natalité, suite à son homélie au Mall of Asia Arena de Manille, il a précisé que le chrétien ne devait pas faire des enfants en série. « Certains croient que – pardonnez-moi l’expression – pour être de bons catholiques, on doit être comme des lapins » a-t-il déclaré.
En utilisant cette formule imagée, dont il prend d’ailleurs le soin d’excuser la limite, le Pape fait encore parler de lui. Et l’emballement médiatique laisse une nouvelle fois penser que la rupture est là. Enfin, le Pape « progressiste » va ouvrir toutes grandes les portes de la contraception et encourager la limitation des naissances !
Disons-le, cet emballement est injuste pour deux raisons :
– d’abord parce que le Pape développe justement son propos en citant un exemple, celui d’une femme qui a eu huit enfants dont sept par césarienne. C’est « tenter Dieu », « c’est vouloir faire huit orphelins ! » s’exclame le Pape. Le propos est clair et sans appel.
– ensuite parce que le Souverain Pontife prend le soin de se référer au document de son prédécesseur le bienheureux Paul VI : l’encyclique Humanae Vitae, publiée en juillet 1968. Cette dernière parlait de « paternité et de maternité responsables », des propos que le Pape François utilise à son tour en qualifiant ce texte, fondamental, de « prophétique ».
Que les familles nombreuses ne s’inquiètent pas non plus ! Le Pape François a eu à leur sujet des propos très encourageants le 28 décembre dernier : « chacun de vous est un fruit unique de l’amour (…) Vous êtes uniques, mais pas seuls ! Il est bon d’avoir des frères et sœurs : les fils et les filles d’une famille nombreuse sont plus capables de communion fraternelle dès la petite enfance. » « Dans un monde souvent marqué par l’égoïsme, la famille nombreuse est une école de solidarité et de partage et ces attitudes bénéficient ensuite à toute la société » ; « la présence des familles nombreuses est une espérance pour la société » (source).
Code de la route ?
En fait, il semble que beaucoup découvrent que le message de l’Eglise ne se limite pas à un jeu entre le permis et le défendu. Ce serait manquer de respect à l’homme de croire que son existence se résume à un ensemble de feux verts et de feux rouges. La parole de l’Eglise n’est pas binaire. L’Evangile n’est pas un code de la route !
C’est peut-être tout le génie du Pape que d’avoir osé cette formule pour sortir d’une vision réductrice et donc faussée de la sexualité conjugale. Les couples chrétiens qui vivent du mieux qu’ils peuvent le message de l’Eglise le savent : oui, l’Evangile est exigeant et il n’a jamais été facile d’être chrétien. Mais cette exigence est au service d’un plus grand bonheur. En appelant à une paternité et une maternité généreuses et responsables, les Papes – du bienheureux Paul VI à François – disent que l’homme est capable du meilleur. Avoir de nombreux enfants, c’est aujourd’hui un choix courageux et généreux que l’Eglise reconnaît et valorise. Elle rend grâce quand les couples peuvent le faire. En même temps, elle invite tous les parents au discernement responsable sur leur capacité à assumer, éduquer et donc accueillir une nouvelle vie. C’est en ce sens qu’elle propose les méthodes de régulation naturelle des naissances, qu’on caricature d’ailleurs souvent sans bien les connaître, et qui ont pour principal mérite de responsabiliser l’homme et la femme.
Responsabilité
En faisant cela, on sort de la logique qui vise à ne proposer aux couples que de simples moyens administratifs et techniques pour « gérer » leur fécondité. L’amour n’est pas un ensemble de recettes. Il interroge chacun d’entre nous sur la maîtrise de soi, le respect de son corps et du corps de l’autre, le sens de la responsabilité personnelle, la beauté et la signification de la sexualité, le sens des liens dans l’amour partagé, de l’engagement et de la prise en compte des actes que l’on pose.
Nous assistons aujourd’hui à une impressionnante déstructuration des relations entre filles et garçons, avec ses inévitables retentissements sur le milieu familial et social. En même temps, l’emprise de l’Etat sur les corps et sur les consciences est de plus en plus manifeste, les familles sont mises hors jeu et les éducateurs hors-circuit.
L’ancien évêque de Belley-Ars avait eu des propos très clairs à ce sujet : « on assiste sans bruit à une régression sans précédent d’une civilisation qui a mis plusieurs millénaires à se construire. Comment ne pas alerter les esprits sur la gravité de cette logique destructrice mise en marche depuis déjà plusieurs décennies et qui va s’intensifiant ? ».
Une question qui ne manquera pas d’être posée par les milliers de manifestants de la prochaine « Marche pour la Vie » ce 25 janvier à Paris, qui a d’ailleurs reçu le soutien du pape François.
[NB : dans son édition du 20 janvier 2015, « Le Figaro-Vox » a publié cette tribune dans une version écourtée].