Microphone

Experte en humanité ?

Abbé Pierre Amar
04 juin 2021

« L’Église, experte en humanité ? La bonne blague ! » s’exclame cette paroissienne fidèle sur le parvis de l’église, à la fin de la messe. En 1965 pourtant, l’expression avait marqué parce que c’était aussi la première fois qu’un Pape prenait la parole au cours d’une Assemblée générale de l’ONU (lien). Ce jour-là, en effet, Paul VI offrait ses services aux pays du monde, revendiquant pour l’Église une compétence historique « d’experte en humanité ». Hélas, le mot n’est-il pas devenu un simple slogan et parfois, comme le suggère cette paroissienne, une tromperie ?

Bien sûr, l’Église agit à travers de très nombreuses œuvres caritatives. Partout dans le monde, elle se met au service des plus fragiles, des marginaux et des souffrants. Qui soigne la majorité des malades en Afrique ? L’Église ! À travers son réseau d’écoles et d’universités, elle est également une institution qui contribue à former intellectuellement et moralement des générations entières. La diplomatie pontificale est enfin un instrument précieux : lanceuse d’alerte, elle permet souvent d’aller au-delà des simples enjeux militaires ou financiers et offre ici et là une vigilance humanitaire ou une proposition de médiation. Quel est le seul diplomate reçu par Saddam Hussein avant la deuxième guerre du golfe ? Un prélat romain. Qui a permis et organisé des rencontres officieuses et fructueuses entre Cuba et les États-Unis, des rapprochements au Venezuela ou en Birmanie ? Le Saint-Siège.

Last but not least, l’Église s’est aussi intéressée au fil des siècles aux conditions de vie et de travail, aux lois, aux institutions, en tant qu’elles ont un impact sur le développement intégral de la personne. Tout en la combattant, ses adversaires eux-mêmes le reconnaissent : son enseignement en matière de politique, d’immigration, d’écologie, de sexualité, d’école ou de bioéthique est cohérent et très abouti.

Contre-témoignage

On peut, on doit, multiplier ces œuvres et ces discours charitables. Mais, en même temps, reconnaissons que nous abritons de nombreux contre-exemples. Qui peut en effet soutenir que l’Église est « experte en humanité » après le scandale Marcial Maciel ou Bernard Preynat, pour ne citer que ceux-là ? Et s’il n’y avait d’ailleurs « que » les seuls scandales sexuels ! Car, depuis plusieurs décennies, beaucoup de catholiques sont les témoins désolés – quand ils n’en sont pas eux-mêmes les victimes – de décisions arbitraires, de manipulations, de dérives et d’abus d’autorité, à la fois dans des communautés, des diocèses et parfois même à Rome. Tout en voulant rester fidèles à celle qui est aussi leur mère dans la foi, nombreux sont ceux qui s’interrogent : pourquoi a-t-on parfois l’impression d’avoir affaire à une froide administration terrestre et pas à l’Église du Christ ?

Deux exemples récents survenus en France ont suscité de nombreuses réactions : le cri de révolte d’un père doublement meurtri par les abus subis par son fils, mais aussi par l’absence de soutien de la part des responsables d’Église (lien). Ou encore la situation d’une religieuse renvoyée de sa communauté dans des conditions ubuesques, révélées par le journal Le Monde (lien). Derrière les lignes, on perçoit le reproche à peine voilé de la journaliste : si c’est ça l’Église, alors… non merci ! Avec de tels amis, pas besoin d’ennemis !

Brebis le dimanche, requin le lundi

Mais la situation ne guette pas que les couloirs des évêchés ou des presbytères. Beaucoup de ceux qui travaillent dans des structures ou des associations à forte identité chrétienne témoignent eux aussi de contre-témoignages avérés. Pour faire vite, ils constatent que la frontière entre charité et vérité est délicate à observer, celle entre compétence et bienveillance encore plus… Douleurs et désillusions semblent plus intenses car on travaille un peu comme en famille, entre personnes qui partagent le même idéal et les mêmes valeurs. On a beau réciter le Notre Père chaque dimanche comme d’authentiques brebis, on devient de vrais requins à peine arrivés au bureau le lundi. Parfois, l’ambiance ressemble plus à « Règlements de comptes à O.K. Corral » qu’à « La mélodie du bonheur »…

Cet article n’entend être le procès de personne et celui qui écrit ces lignes n’est certainement pas lui non plus exemplaire. Mais chacun doit s’examiner car la marge de progression est immense et nous devons vraiment nous convertir ; de peur de ne plus être crédibles. Si les chrétiens ne semblent parfois pas bien meilleurs que ceux qui les entourent, c’est qu’ils sont touchés par le même mal : le péché, rien que le péché, encore et toujours ! Il est peut-être urgent d’aller nous confesser ? Et aussi de relire saint Paul qui s’adressait jadis aux chrétiens de Corinthe, une communauté qui lui donnait du fil à retordre : « Vous n’êtes pas à l’étroit chez nous, c’est en vous-mêmes que vous êtes à l’étroit ! » (2 Co 6, 11-12).

Une Église sainte ?

Nous le disons chaque dimanche : « Je crois en l’Église, sainte… ». Si nous disons « je crois », c’est donc que ça n’est pas une évidence. Car sans la foi, on ne voit en l’Église qu’une simple institution, critiquable, comme toute institution. Elle est humaine et donc fragile mais pourtant divine et sainte, choisie et voulue par le Christ, toute brûlante de l’Esprit Saint. Elle n’a pas été inventée par hasard par un noyau de onze nostalgiques. Lorsqu’il la fonde, Jésus appelle Pierre, Judas et les autres. Le reniement du premier et la trahison du second n’ont jamais été occultés. Tout comme les multiples exemples de sainteté qui ont parsemé les siècles de son histoire.

Oui, l’expression de saint Paul VI (photo plus haut) était peut-être présomptueuse car l’Église est plutôt pauvre en humanité. Mais elle porte dans cette pauvreté l’Évangile qui perfectionne l’humanité. En ce sens, elle est experte en divinité, servante de l’alliance entre Dieu et les hommes, au service de la rencontre entre le Dieu sauveur et l’homme pécheur. Le pape François le suggère souvent : une structure d’Église meurt si elle n’est pas au service de cette rencontre, si elle est autocentrée. Peut-être avons-nous cru qu’évangéliser consistait à parler depuis un piédestal ? Mais la mission, ce sont plutôt des pauvres qui parlent à d’autres pauvres. Et tous sont aimés de Dieu. C’est lui qui, en premier, a pris l’initiative de nous rassembler. Non pas pour faire du chiffre mais pour dire, en son nom, ce qui est vrai et bon pour l’homme. Il a promis d’être avec nous jusqu’à la fin des temps. Il suscitera même dans l’Église des saints à la taille de la crise actuelle. Comme elle est d’importance, on peut donc raisonnablement espérer de nombreux et très grands saints !

Abbé Pierre Amar

Abbé Pierre Amar

Diocèse de Versailles, ordonné en 2002. Licencié en droit et en théologie. Auteur de "Internet, le nouveau presbytère" (Artège, 2016), "Hors Service" (Artège 2019), "Prières de chaque instant" (Artège 2021) et de divers spectacles (Jean-Paul II, Charles de Foucauld, Madame Elisabeth). De 2013 à 2018, il anime l'émission "Un prêtre vous répond" sur Radio Notre-Dame. Depuis sept. 2019, il répond à "Pourquoi Padre ?" sur KTOtv.

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