Microphone

Et si on reparlait de militance ?

Père Jean-Baptiste Bienvenu
15 septembre 2021

L’année qui commence sera une année politique. On voit déjà cette tonalité poindre autour de candidatures, déclarées ou supposées. Comme à chaque fois, les débats seront passionnés, et les enjeux, d’importance. Pour nous préparer à cela, creusons un terme qui sonne un peu désuet, et qui est pourtant riche de sens : la militance.

Parole de centenaire

Une femme presque centenaire de la paroisse répète à qui veut l’entendre : « Le problème de votre génération, c’est que vous n’êtes plus des militants. Nous, à l’époque, on a milité. Bon, c’est vrai que le résultat est décevant. Mais vous, vous ne militez même plus. » À la réalité de la militance a en effet succédé la rhétorique de l’engagement. On pourrait croire que les deux réalités se recoupent et s’équivalent, alors que des différences importantes existent. S’engager, au sens propre, c’est mettre sa parole en gage, donner sa parole comme caution d’une action à venir. On parle de la crédibilité de celui qui agit, et non pas de ce qu’il va faire. L’engagement est donc une réalité principalement subjective, qui ne dit rien de la finalité de l’action et de son origine. Inviter à l’engagement n’est alors qu’une injonction au mouvement, à la manière du slogan « En marche ». On parle d’une énergie qui ne possède ni cause identifiée ni terme visé. C’est la maladie de notre siècle. Nous ne le savons que trop bien.

Engagement ou militance ?

Militer, c’est tout autre chose. Le mot porte un sens d’une grande richesse. On entend d’abord le verbe latin militare, qui a donné militaire et qui désignait autrefois l’action de faire son service militaire. Plusieurs dimensions apparaissent alors, contenues dans l’étymologie du mot : un objectif au service du bien commun, un horizon temporel, et un corps intermédiaire concret. Ces trois éléments peuvent enrichir la compréhension que nous avons de nos engagements.

La militance désigne d’abord l’adhésion à une cause qui sert objectivement le bien commun. Pour le soldat romain, c’était la défense des frontières de l’empire pour que la pax romana puisse s’y déployer. Dans les engagements que nous prenons, comment sommes-nous au service d’un bien objectif qui transforme la cité et qui dépasse l’horizon des intérêts particuliers ?

Ensuite, la militance du Romain était une action délimitée dans le temps conclue par la célébration du « congé honorable », l’honesta missio qui ouvrait à une nouvelle vie dans le civil. L’idée de militance contient donc un horizon temporel. Pour nous qui sommes chrétiens, cela signifie vivre le présent dans la lumière de la vie éternelle. Cette définition de l’espérance est-elle en acte dans les différents engagements que nous avons dans la cité ? Notre action est-elle motivée par le terme que nous visons et qui nous illumine déjà ?

Importance des corps intermédiaires

Enfin, la militance implique l’inclusion dans un corps intermédiaire concret (parti politique, syndicat, conseil municipal). C’est bien souvent là que le bât blesse. Dans l’époque où nous vivons, beaucoup sont motivés par l’engagement, mais refusent de le concrétiser dans un corps intermédiaire, au motif que ces corps ne sont pas suffisamment purs pour porter la complète vérité du message auquel ils adhèrent. On hésite à se mouiller parce qu’on a peur de se compromettre ; on préfère des structures associatives plus simples à contrôler. Tout cela est bien compréhensible parce que c’est sécurisant. Mais cette stratégie est-elle vraiment efficace pour transformer le monde que nous habitons ? La désaffection des corps intermédiaires n’est-elle pas un facteur aggravant de l’archipélisation de notre société ? Dans quelles réalités concrètes pourrions-nous nous investir, quitte à devoir faire des concessions qui ne seront pas pour autant des compromissions ?

L’Église est militante

Ces trois dimensions sont au coeur de la foi chrétienne. D’ailleurs, la militance rejoint une antique manière de désigner l’Église comme la communion de l’Église militante (les vivants) avec l’Église souffrante (le Purgatoire) et l’Église triomphante (les élus). Alors, puisque le baptême a fait de nous des militants dans l’Église, entrons dans cette année électorale en revisitant nos engagements à partir des questions précédentes. Et si les réseaux sociaux nous donnent parfois l’impression d’être des acteurs déterminants du monde, souvenons-nous que nos messages ne sont lus que par ceux qui partagent notre avis. On ne change pas le monde en laissant des pouces bleus ici et là, ou en likant des tweets. On le change en descendant dans l’arène !

Père Jean-Baptiste Bienvenu

Père Jean-Baptiste Bienvenu

Diocèse de Versailles, prêtre de la communauté de l’Emmanuel (emmanuel.info). Ordonné en 2016, vicaire à la paroisse de la Sainte Trinité à Paris. Enseigne la théologie morale au séminaire de Versailles. Il anime et coordonne l'équipe du Padreblog.

Partager