Quel progrès nous promet-on ?
Il n’y a pas que le climat qui se fasse rude ces jours-ci. La campagne présidentielle prend un tour assez violent, avec son lot de petites phrases, de provocations et d’attaques personnelles. Il ne faudrait pas que nous soyons empêchés de discerner les vrais enjeux. Les chrétiens, plus que les autres, se doivent de prendre de la hauteur pour mûrir leurs choix.
Le concept de progrès – très répété par l’ensemble des candidats en cette période d’élections – ne manque pas de laisser dubitatif. « Ce rêve de vivre mieux, ce rêve de laisser un monde meilleur, ce rêve du progrès, ce rêve de pouvoir franchir à chaque fois les étapes de l’humanité » dit l’un. Un autre dénonce quant à lui « les murs du conservatisme et de l’immobilisme » qu’il voudrait renverser …
Comment ne pas être d’accord ? Tout le monde veut le progrès ! Mais de quel progrès nous parlent-ils ?
Depuis toujours, l’Eglise encourage le vrai progrès. Un progrès qui soit au service de l’homme, de son développement intégral et de son accomplissement. Un progrès au service de tout l’homme et de tous les hommes. Un progrès qui ne soit pas une idéologie mais un service du Bien.
Promesses faciles mais progrès douteux
En raison de la crise sans précédent que nous traversons, nos candidats sont conscients de disposer de peu de marge de manœuvre dans le domaine économique. Le poids important de l’Europe et des institutions financières dans les décisions politiques nationales ne facilite pas non plus l’initiative en ce domaine.
Il en ressort une double difficulté :
– celle de promettre aux électeurs, et de façon crédible, un véritable progrès dans la lutte contre le chômage ou les inégalités sociales, par exemple.
– celle de faire croire à une réelle différence droite/gauche sur ces questions.
Au final, les candidats seront plus facilement tentés d’incarner ce « progrès » sur les questions sociétales, celles qui ne coûtent pas cher, en proposant d’aller toujours plus loin dans la transgression des fondamentaux de notre société : euthanasie, mariage homosexuel, homoparentalité, laïcité restrictive, etc… Le progrès serait alors une prise d’autonomie par rapport à l’héritage judéo-chrétien qui a baigné notre civilisation. Il manifesterait un refus de toute norme éthique universelle qui serait reçue et non choisie. Comme si l’homme se libérait en quelque sorte de sa condition de créature et pouvait décider par lui-même ce qu’il est, plutôt que d’avoir à consentir à ce qu’il reçoit.
C’est ainsi qu’est considéré comme « progrès » le fait de pouvoir choisir sa mort (et l’heure de celle-ci, ou encore de pouvoir changer la définition du mariage (ou de la famille) ou de pouvoir « libérer » l’espace public des religions en les cantonnant dans la sphère privée, etc.
Un progrès au service de tout l’homme et de tous les hommes
Quel est donc ce progrès qu’on nous présente comme libérateur ? Quel est-il puisqu’il semble immanquablement se retourner contre les plus fragiles et les sans-voix ?
Les chrétiens ne peuvent se taire devant une telle utilisation du mot progrès. Elle ferait de ceux qui défendent la dignité de la personne et la loi naturelle, des réactionnaires ou des adeptes d’un conservatisme sclérosé. Ne confondons pas conservatisme et fidélité. Le progrès ne consiste pas à se libérer de ce que nous sommes, mais au contraire, à permettre à chacun de devenir toujours mieux ce qu’il est en s’accomplissant pleinement. La société progresse non quand elle transgresse mais quand elle avance dans la fidélité à ses valeurs fondatrices : celles du respect de la vie, de la personne, de la famille, de ses racines, de la loi de la conscience.
Reprenons une des propositions qui a récemment fait polémique. Une société qui préfère mettre en place le suicide assisté, l’euthanasie, pour ceux qu’elle ne parvient plus à soigner, ceux qu’elle ne sait pas accompagner ou soulager, ceux qui dérangent involontairement par leur souffrance ou leur apparente déchéance, et bientôt ceux qui coûteront trop cher, est-elle vraiment une société qui progresse ? Le progrès véritable, réellement au service de l’homme et de la dignité de chacun, ne serait-il pas plutôt d’offrir à tous et sans distinction de revenus des soins palliatifs qui soulagent la douleur et offrent la possibilité de vivre pleinement ce temps si dense humainement et si important spirituellement qu’est la fin d’une vie sur terre ?
Allons plus loin encore. Comment ne pas reconnaître l’ambiguïté du progrès technique, s’il n’est pas accompagné d’un progrès éthique ? Ce n’est pas parce que c’est techniquement possible que c’est moralement légitime, et donc humainement favorable. Le diagnostic prénatal est par exemple un progrès formidable ; il permet de prendre en charge certaines pathologies dès avant la naissance.
Mais s’il devient l’instrument d’une sélection qui ne dit pas son nom, s’il permet comme aujourd’hui d’avorter 95% des enfants trisomiques, est-ce encore un progrès ? Ne devient-il pas la cause d’une dérive eugéniste qui se retourne contre les plus fragiles ? Le véritable progrès ne serait-il pas d’améliorer l’accompagnement des familles touchées par le handicap et de soutenir la recherche pour guérir un jour cette maladie de l’intelligence ? Le vrai progrès n’est-il pas de guérir la maladie plutôt que de supprimer le malade ?
Ce que nous exprimons ici est tout aussi vrai pour le « progrès » annoncé sur les questions de société. Ce n’est pas parce qu’une proposition est majoritairement souhaitée (selon les sondages…) qu’elle correspond au bien commun. Voilà un vrai critère de discernement : le candidat est-il réellement libre vis-à-vis des modes de pensée, des opinions majoritaires ou non, pour avoir le courage de s’opposer aux transgressions qu’on veut lui imposer ?
Pour que progrès ne rime pas avec regret
Les chrétiens auront à discerner au service de quel progrès se met le candidat pour lequel ils souhaitent voter. Quelle philosophie du progrès sous-tend son discours et ses actes ? Quelles nouvelles transgressions se cachent derrière les beaux mots de tolérance, d’égalité des droits et de progrès ? Soyons pragmatiques et lucides : il n’y a pas de candidat parfait. Et une élection présidentielle n’est pas une canonisation ! Mais la question à se poser, à la lumière de ce que nous venons d’écrire, pourrait être celle-ci : parmi les différents candidats, lequel ou laquelle laisse espérer un éventuel progrès dans les 13 points mis en valeur par nos évêques, et plus spécialement dans le domaine de la vie, de la famille ou de l’éducation ?
Et surtout, quel(le) candidat(e) laisse craindre de nouvelles transgressions, synonymes pour les générations à venir de véritables régressions éthiques ?
Les évêques de France avaient décidé d’intervenir bien en amont, dès octobre dernier, pour proposer 13 points d’attention, comme autant de critères de discernement pour les électeurs et les élus. 13 points pour définir ce que peut être un réel progrès pour la société. Ils peuvent être lus ici. Ce document prend désormais toute son actualité.
Espérons qu’il saura inspirer nos candidats et leurs électeurs ! Afin d’éviter que progrès ne rime un jour trop durement avec regret …