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« Les chrétiens devraient tous être un peu moines »

Père Jean-Baptiste Bienvenu
25 janvier 2022

La parole des bénédictins est toujours une exception. C’est aussi ce qui en fait la valeur. À l’occasion de l’élection de Don Louis Blanc comme nouvel abbé de Triors (Drôme), Dom Hervé Courau, Père Abbé émérite, répond aux questions de Padreblog. Un propos stimulant pour vivre le temps qui est devant nous, le coeur centré sur l’essentiel.

Père Jean-Baptiste Bienvenu : L’individu contemporain est perdu dans le bruit et la confusion. Le catholique pratiquant lui-même a bien du mal à trouver le chemin de l’intériorité pour faire oraison. Quels conseils donnez-vous à ceux qui se demandent comment avancer dans la prière ?

Don Hervé Courau : Le bruit ne fait pas de bien et que le bien ne fait pas de bruit : cet adage plein de bon sens, chacun le porte en son cœur ; il agit comme un vaccin, à notre portée, pour nous prémunir contre l’avalanche d’informations hétéroclites du quotidien qui, sous couvert de tout nous apprendre, nous rend analphabètes des choses essentielles.
« Individu contemporain », oui, on en a fait un numéro anonyme, en veilleuse de sa dignité humaine de créature capax Dei, c’est-à-dire faite pour s’ouvrir à Dieu, comme dit la théologie. Jésus est là, Verbe de Dieu incarné pour nous dire cela sans cesse, brise légère plus éloquente que les éclairs et le tonnerre perçus par Élie dans sa rencontre avec Dieu.
Quel conseil donner alors pour détecter cette brise divine, discrète et pudique ? Croire, qu’elle est là avant mes efforts d’introspection : plutôt que cette crispation pénible, le Bon Dieu attend de nous la confiance tenace, à base de vie théologale, qu’Il est là, nous précédant, nous attendant pour souper avec nous dans la joie pure que donne son intimité (Apocalypse 3, 20).

A l’extérieur du monastère, on entend beaucoup de remises en cause de la vie spirituelle et, même dans l’Eglise, l’appel à agir provoque bien des agitations inutiles. Que répondez-vous à ceux qui disent que les contemplatifs ne servent à rien ?

L’introspection, c’est vrai, peut mettre en fuite peureuse du monde, à cause du bruit dont il nous rebat les oreilles. Mais ce monde, il faut pourtant l’aimer en vérité, ce qui veut dire vouloir qu’il perçoive davantage le Mystère de Dieu : depuis Noël, Jésus est là, ce qui veut dire, Dieu-sauve, Main rédemptrice venant nous sortir de nos ornières. Agir alors, ce n’est pas s’agiter : votre question si bien posée dit la réponse.
La misère du monde, c’est d’abord le vide de Dieu ; les affamés, les lépreux, les migrants même, quelle que soit l’origine de leur apparition sous nos yeux, ce sont « nos seigneurs les pauvres » selon la belle expression de saint Vincent de Paul qui a su les aider à partir de leur capacité de Dieu, accrue par leur peu de tirant d’eau sur cette terre : le ciel est leur espérance ajustée.
Jésus a dit que ces pauvres, nous en aurons toujours parmi nous, ce n’est donc pas là le péché ; en revanche le vide de Dieu autour de nous, cela est une gangrène peccamineuse : chacun de nous doit par son humilité et sa foi, promouvoir Sa Sainte Présence.

Le paradoxe de la vie bénédictine, c’est d’être en même temps une communauté vraiment en dehors du monde, et pourtant un carrefour ouvert à tous ceux qui cherchent le sens de l’existence. Comment votre vie peut-elle inspirer les catholiques tentés de se replier sur eux-mêmes ?

Merci de prolonger ainsi la réponse précédente. Saint Paul VI a dit des chrétiens qu’ils devaient tous être un peu moines, et les moines devant l’être complètement : l’évangile parle d’être ferment dans la pâte, c’est le même paradoxe qui est la clé de lecture de la situation du chrétien. La clôture des moines rejoint d’ailleurs l’intimité d’une famille, fermeture apparente pour devenir fécond visiblement par les enfants, comme dans l’invisible rayonnement vers les autres.
Saint Benoît accueille l’hôte comme le Seigneur lui-même : on lui lave les mains avec respect, avant de l’introduire, et pourtant, il doit respecter le silence des moines et ne pas leur parler sans permission. La clôture des moniales le crie en silence. Une Mère abbesse disait avec justesse que la grille des moniales conjointe à leur prière rejoint « les périphéries » les plus inatteignables, selon l’image du pape François : seules elles atteignent Kaboul ou les addictions les plus ‘hermétisantes’ !

Votre communauté vient d’élire votre successeur. Il a 35 ans. C’est un choix audacieux. Comment des éléments de la gouvernance bénédictine peuvent-ils inspirer l’Église semper reformanda ?

La vie ne se développe harmonieusement que dans un paisible climat de confiance. Cette grâce reçue d’En Haut a permis à la communauté de Triors de se choisir récemment un jeune abbé, dernier prêtre ordonné. À dire vrai, la Règle bénédictine prévoit sans crainte ce cas de figure : Dans l’élection, on aura égard au mérite de sa vie et à sa doctrine spirituelle, quand bien même il occuperait le dernier rang dans la communauté. Saint Hugues fut abbé de Cluny à vingt-cinq ans !
Mais à dire vrai, la richesse d’une communauté monastique, c’est autre chose que l’âge de son abbé : l’âme n’a pas d’âge, sinon la jeunesse inaltérable de la grâce, mais hélas aussi, la vieillesse dont l’afflige le péché. En revanche, la confiance mutuelle d’une famille unie, charnelle comme spirituelle, voilà sa vraie richesse, grâce des grâces disons-nous chez nous.
La crise actuelle tient à une défiance larvée qui cache la Présence agissante de Dieu dans son Église. Le Père Louis Bouyer écrit des moines qu’ils sont l’Église à l’état incandescent. Au sortir de Pentecôte, la première communauté de Jérusalem n’avait qu’un cœur et qu’une âme ; cela perdure dans la Lumen Gentium d’après Vatican II, mais de façon trop invisible ; les moines témoignent plus visiblement ce qui fait la vraie richesse, source souterraine et pure, dans l’ensemble des chrétiens.
Hélas, des tares visibles font pleurer Marie à La Salette (devant les turpitudes de certains prêtres), de même les enfants de Fatima réparent la désinvolture du clergé face aux « saints mystères » de l’autel : tous nous pouvons « réparer » avec eux, et raccommoder la synodalité blessée, par l’humble et fervente adoration de la sainte Eucharistie.

Au monastère, il est très marquant de constater que la liturgie est une réalité paisible. Elle est le cœur de votre vie. Quel encouragement adressez-vous aujourd’hui à ceux qui sont blessés par l’application de Traditionis custodes

La question souligne d’anciens et douloureux clivages. La rudesse de ton du Motu Proprio oblige néanmoins à quitter certaines ornières avec leur climat de guerre de tranchées. Notre liturgie domestique, à Triors, liée au missel d’avant le Concile, se ressent  pourtant du nouveau missel dont nous avons eu la pratique durant 15 ans. Nous vivons donc une riche liturgie ancienne  de façon que je dirais « désenclavée » ; cela permet de lire le Motu Proprio sans trop d’angoisse.
Ce dernier n’a sans doute pas la prudence d’une saine diplomatie, mais il accuse pourtant une façon figée de vivre le missel de 62, comme si rien ne s’était passé depuis, comme si la prière n’avait pas perduré ailleurs, comme si le sanctoral était resté au point mort. Ceci dit, on regrette que le « face au peuple » et la communion de la main, quasi imposés aux origines du nouveau missel indépendamment de celui-ci, continuent de le discréditer, tout en déniant la souffrance légitime de ceux qui en sont toujours et légitimement scandalisés.
Au moins en France, la crise nouvelle fait pourtant mûrir les esprits vers un sain réalisme et le respect des âmes. En tout cas c’est le sens de notre prière sur la question, confiée à Notre Dame du Magnificat : elle veille, avec un soin qui nous dépasse tous, à ce que la Sainte Église de Dieu offre toujours plus magnifiquement à la Trinité la gloire publique qui lui est due.

Père Jean-Baptiste Bienvenu

Père Jean-Baptiste Bienvenu

Diocèse de Versailles, prêtre de la communauté de l’Emmanuel (emmanuel.info). Ordonné en 2016, vicaire à la paroisse de la Sainte Trinité à Paris. Enseigne la théologie morale au séminaire de Versailles. Il anime et coordonne l'équipe du Padreblog.

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