Vers la fin du schisme ?
Il y a quelque chose d’assez inhabituel dans le communiqué romain de ce jour… il est signé à la fois du Vatican et de la Fraternité Saint-Pie X ! Publié après la rencontre entre Mgr Fellay (ci-dessus en train de serrer la main du pape) et le Cardinal Levada, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, il annonce la possible réconciliation qu’on attendait depuis des décennies. Rome pose ses conditions, simples et concrètes. Le Pape n’est jamais allé aussi loin dans son offre.
En même temps, il force les « intégristes » à se confronter à la question redoutable : ont-ils vraiment envie de revenir ? On comprendrait mal en effet ce qu’ils pourraient encore invoquer comme bonne raison pour refuser ce dernier ultimatum. On n’aura jamais été aussi près de résorber le schisme. Et pourtant, le contentieux est lourd… et les obstacles restent nombreux. Retour sur une histoire de famille.
La déchirure
Cela avait été une grande douleur pour Jean-Paul II. Un drame qu’il n’avait pas réussi à éviter. En juin 1988, Mgr Lefebvre, en consacrant quatre évêques sans l’accord du pape, entraînait la Fraternité Saint-Pie X dans le schisme : la séparation avec Rome était consommée. Comme un père qui tente par tous les moyens de préserver l’unité de sa famille, Jean-Paul II, aidé d’un certain … cardinal Ratzinger, avait tout fait pour éviter d’en arriver là, sans réussir à entraîner la confiance de ceux qu’on appelle « les intégristes ».
Ces derniers ne sont pas seulement adeptes de la messe selon l’ancien rite. Ils reprochent aussi et surtout au Concile Vatican II d’avoir voulu faire évoluer la doctrine catholique, en l’adaptant au monde moderne. Cela justifiait selon eux de désobéir à une hiérarchie qui n’enseignait plus la « vraie foi catholique ». Les excès liturgiques des ces 40 dernières années, l’appauvrissement spirituel et doctrinal d’une partie du clergé, des écoles catholiques, du catéchisme, tel qu’on a pu l’observer en Europe, la faiblesse des évêques impuissants face aux errements théologiques de certains de leurs clercs… tout cela, sans donner raison au mouvement de Mgr Lefebvre, ne favorisait pas en tout cas un quelconque dialogue. De même, la désobéissance assumée, les occupations d’Eglise, les attaques virulentes contre le Pape ou contre la réforme liturgique, ne révélaient pas de désir réel d’ouverture chez les lefebvristes. La situation semblait définitivement compromise avec le schisme de 1988.
Les soucis du pape
Le Cardinal Ratzinger, devenu pape, reste sensible à cette situation de division. Il a participé aux négociations pour tenter d’éviter le schisme. Il sait et connaît les blessures de part et d’autre. Il est attentif aux nombreuses vocations dont l’Eglise ne peut profiter réellement en raison de cette déchirure. Il aime la liturgie ancienne, et comprend qu’on puisse y être attaché. Il a conscience que si du temps passe encore, des générations grandiront en n’ayant connu que cette situation de schisme, sans jamais avoir vécu en pleine communion avec Rome. Enfin, il a conscience que s’il y a une lecture du concile fidèle à la Tradition, dans la continuité des conciles précédents, des interprétations excessives des textes conciliaires ont pu être aussi répandu volontairement. Pour justifier leurs dérives doctrinales ou liturgiques, certains théologiens ont fait dire au Concile ce qu’il n’avait pas voulu dire.
Surtout, Benoît XVI réfléchit aussi en « père de famille » : il ne peut se résoudre à voir ses enfants divisés plus longtemps et pense qu’il est temps de poser des gestes forts, qui pourraient favoriser la réconciliation.
Les efforts d’un père
Le premier va être posé en juillet 2007 : le Pape promulgue un Motu Proprio, un texte ayant force de loi, qui reconnaît la coexistence de deux formes légitimes du rite romain.
La forme ordinaire, issue de la réforme de Paul VI, et la forme extra-ordinaire, correspondant à ce qu’on appelait la messe de Saint-Pie V, ou le rite ancien. La célébration de cette forme extraordinaire est rendue possible à des conditions très larges. Ce motu proprio a tout d’une réhabilitation de « l’ancienne messe » à laquelle sont exclusivement attachés les partisans de Mgr Lefebvre. Il va permettre que cette liturgie soit connue d’un plus grand nombre et moins marginalisée.
Le deuxième geste fort va être, en janvier 2009, la levée des excommunications, sanctions qui pesaient sur les quatre évêques depuis 1988.
Ce geste est avant tout symbolique : il ne suffit pas en lui-même à rétablir dans la pleine communion le mouvement lefebvriste ni son clergé. Mais il se veut comme l’expression de la bienveillance maternelle de l’Eglise, destinée à favoriser la reprise d’un vrai dialogue. Hélas, la polémique sur les propos révisionnistes d’un des quatre évêques, Mgr Williamson, ternira gravement la portée de cet évènement. Notons cependant que cet évêque sera sanctionné par son confrère, Mgr Fellay, supérieur de la Fraternité Saint-Pie X, révélant ainsi des divisions dans la Fraternité, mais aussi la volonté de son supérieur de ne pas laisser la frange dure abîmer le processus initié.
Le troisième geste fort vient d’être réalisé.
Après plusieurs mois de discussions entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X portant sur les points de désaccords doctrinaux, le Vatican vient de faire une proposition concrète et ferme à Mgr Fellay. Le Pape souhaite voir la Fraternité signer un « préambule doctrinal » : une déclaration portant sur les points essentiels de la foi catholique, auxquels il faut adhérer pour être en pleine communion avec l’Eglise et le successeur de Pierre. Ce préambule, dont le contenu n’a pas été dévoilé, reconnaît qu’au delà de ces points essentiels, il est possible de discuter de l’interprétation de tel ou tel passage du Concile Vatican II. Le texte du Concile lui-même, dans toutes ses formulations, n’est pas infaillible (2). Il y a une place pour la discussion théologique et un débat légitime. Si cet accord doctrinal était signé, Rome offrirait alors une reconnaissance canonique à la Fraternité Saint-Pie X, reconnaissance qui lui permettrait de rendre légitime son apostolat et réintègrerait dans la pleine communion ses prêtres et ses évêques. Mgr Fellay a déclaré dans un texte plein de mesure (3) qu’il allait étudier cela avec ses confrères et donner une réponse « pour le bien de l’Eglise et des âmes » dans les mois qui viennent.
Trois enseignements
Que tirer de tout cela ?
La persévérance et la patience de Benoît XVI. Il se montre plus que jamais paternel, refusant de se résigner à voir persister cette division entre catholiques : l’Eglise est une famille, qui connaît des tensions, des drames, des divisions. Mais on ne peut se résoudre à la voir divisée, déchirée. Pourtant, le Pape n’a pas été épargné par les lefebvristes. Il suffit de lire ce qu’ils ont pu et continuent d’écrire sur lui. La violence des critiques aurait justifié à elle-seule qu’il considère ne plus avoir de temps à perdre avec ces enfants perdus …
Mais un cœur de père ne peut se résoudre à cela. Même quand le fils se montre indigne, le père l’aime encore et veut tout faire pour le sauver malgré lui. C’est le sens de ces gestes successifs du Pape. Il parie sur la confiance que ces gestes peuvent susciter. Après des années d’exclusion mutuelle, le ton change. Le Pape veut croire que, revenus au sein de l’Eglise, les lefevbristes changeront d’attitude, apprendront la confiance, retrouveront la paix qu’apporte l’obéissance, ne parleront plus de l’Eglise comme de l’extérieur, mais redeviendront les fils et filles dont elle a aussi besoin.
Forcément, cette réconciliation va rencontrer des obstacles. Au sein de la Fraternité Saint-Pie X d’abord. Il y aura toujours des « purs et durs » pour suspecter Rome, pour ne pas miser sur la confiance, pour ne pas vouloir obéir. Après tout, on peut prendre goût à cette « autonomie » hors de l’Eglise et loin de sa hiérarchie. Et préférer orgueilleusement rester le premier hors de l’Eglise que de réapprendre à obéir au sein de l’Eglise. Il y aura aussi tous les « fils aînés » de la parabole de l’enfant prodigue qui viendront se plaindre devant l’excessive bonté de leur père envers ce fils rebelle qui revient. Dans l’Eglise, beaucoup préféraient voir les « intégristes » en dehors, pour ne pas s’en occuper, et éviter ainsi qu’ils aient une influence sur la vie ecclésiale.
Certains réclament une sévérité extraordinaire vis-à-vis d’eux, ou qu’ils fassent repentance. D’autres veulent qu’on exige d’eux les garanties les plus hautes de catholicité. Beaucoup craignent que cela cache une remise en cause de Vatican II, qu’ils veulent voir reconnaître jusqu’à la dernière virgule par les lefebvristes. C’est assez étonnant qu’on n’entende pas les mêmes réclamer des sanctions pour les 300 prêtres rebelles d’Autriche, qui remettent en cause le célibat des prêtres, pourtant promu par le Concile ! Il y a des sévérités sélectives… Bref, de part et d’autre, beaucoup ont intérêt à faire capoter ces accords…
Raison de plus, et c’est le dernier point, pour prier pour le Pape. Qu’il puisse exercer jusqu’au bout sa mission de « fortifier ses frères dans la foi » et de serviteur de leur unité. Prions aussi pour Mgr Fellay qui a devant lui une décision historique à prendre. Qu’il ait le courage nécessaire, pour entraîner à sa suite le plus grand nombre sur cette voie audacieuse, exigeante, éprouvante parfois, de l’amour de l’Eglise, de l’obéissance et de la confiance.
Prions enfin pour l’Eglise. Que nous soyons les uns pour les autres serviteurs de son unité, en la facilitant par notre bienveillance, en étant prêt à donner les pardons nécessaires, et à les demander. En aimant l’Eglise comme notre mère commune, qui seule peut rassembler des enfants aussi différents, aussi turbulents, aussi pécheurs, sous l’autorité toute paternelle du successeur de Pierre.