Catho et écolo
Commençons par avouer que certains catholiques se sentaient jusqu’à présent assez éloignés des problématiques de l’écologie. D’une part par manque de cohérence : on a du mal à être chrétien en toute chose, à comprendre que tout se tient.
En ce sens, la protection de l’environnement a pu nous sembler moins urgente que d’autres « combats » plus immédiats comme, par exemple, les questions sociétales, la lutte contre la pauvreté, ou d’autres enjeux plus spirituels comme la nouvelle évangélisation. D’autre part – en France au moins – les partis écologistes n’ont pas toujours su rendre service à l’écologie, en se faisant porteurs d’une idéologie libertaire et transgressive dont les chrétiens se sentent très éloignés.
Avec cette encyclique « Laudato Si » le pape François vient nous réveiller et nous bousculer, en nous appelant à nos responsabilités. Nul ne peut être indifférent à la question qu’il pose : « quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui nous succèdent, aux enfants qui grandissent ? ».
Tout est lié
« Quand on ne reconnaît pas, dans la réalité même, la valeur d’un pauvre, d’un embryon humain, d’une personne vivant une situation de handicap – pour prendre seulement quelques exemples – on écoutera difficilement les cris de la nature elle-même. Tout est lié ».
Cette citation du Pape illustre bien l’un des grands points d’insistance de son encyclique. Il veut montrer combien seule « une écologie intégrale » peut répondre à cette question qu’il nous pose. Nous avons à vivre une « conversion écologique globale » pour reprendre l’expression de Jean-Paul II, car il y a un lien entre les questions environnementales et les questions sociales, humaines et spirituelles. Ce lien ne peut être rompu : « nous ne pouvons concevoir la nature séparée de nous, ou comme un simple cadre de vie ». De même, cette question du monde que nous laissons aux générations qui viennent « ne concerne pas seulement l’environnement de manière isolée, parce qu’on ne peut pas poser la question de manière fragmentaire. Quand nous nous interrogeons sur le monde que nous voulons laisser, nous parlons surtout de son orientation générale, de son sens, de ses valeurs. Si cette question de fond n’est pas prise en compte, je ne crois pas que nos préoccupations écologiques puissent obtenir des effets significatifs ». Bref… tout est lié.
Les solutions ne sont pas d’abord techniques. Elles sont avant tout sociales, éthiques et spirituelles. Il s’agit de mettre un frein à la « culture du déchet », au consumérisme compulsif, à la domination du marché, au relativisme fou… dont les conséquences touchent aussi bien la nature que les personnes, et en premier lieu les plus pauvres.
Un constat, une méditation, un appel
Si nous parcourons rapidement l’encyclique, que dit le Pape ?
Il nous invite d’abord à un constat lucide, et à écouter pour cela ce que nous dit la science sur différents aspects de la crise écologique actuelle. Il nous invite à « entendre le cri de la création » : changement climatique qui impacte d’abord les plus pauvres, accès à l’eau potable, perte de la biodiversité, dette écologique du nord envers le sud, faiblesse des réactions face à ces défis… Le regard du Pape se fait sévère et lucide. Il critique un « certain assoupissement et une joyeuse irresponsabilité » devant les conséquences dramatiques de cette crise pour tant de personnes.
Le Pape médite ensuite sur l’apport de la Bible et de la tradition judéo-chrétienne. Quel est le fondement spirituel et théologique d’une véritable écologie ? On a pu comprendre qu’il revenait à l’homme de « dominer » la création, mais cela veut dire que s’il y tient une place particulière, prééminente, il n’est pas pour autant la fin ultime des autres créatures : « celles-ci avancent toutes, avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu ». A l’homme incombe la responsabilité de « cultiver et protéger » cette terre, qui est un don et non une propriété. Il doit avoir « un respect sacré, tendre et humble » pour toutes ces créatures : l’univers révèle la grandeur et la bonté du Créateur.
Le Saint-Père poursuit en analysant ensuite les causes humaines plus profondes de la crise écologique. Il le fait en interrogeant d’abord le progrès technique, dont il reconnaît les bienfaits y compris pour contribuer à un développement durable, mais qui concentre aussi entre les mains de ceux qui y ont accès un pouvoir immense sur l’humanité. Il faut du coup développer en même temps « une éthique solide, une culture et une spiritualité ».
Il pointe aussi du doigt ce qu’il appelle un « anthropocentrisme démesuré » : l’homme veut être sa propre norme, il ne reconnaît plus sa juste position par rapport au monde et prend une position centrée sur lui même, sur son pouvoir. La conséquence est grave : c’est la logique du « jetable », cette « culture du déchet », qu’il soit environnemental ou humain, qui traite l’autre ou la nature comme un simple objet, en fonction de son « utilité ». Cette attitude se couple à un relativisme pratique qui accentue cette tentation de toute-puissance et de domination : « s’il n’existe pas de vérités objectives ni de principes solides hors de la réalisation de projets personnels et de la satisfaction de nécessités immédiates… », quelles limites à l’utilisation des autres, ou de la nature ?
Le Pape propose alors son concept d’écologie intégrale, une écologie qui « incorpore la place spécifique de l’être humain dans ce monde et ses relations avec la réalité qui l’entoure ». Sont donc évoquées la nécessité de développer une écologie qui relie les questions environnementales, sociales et humaines, l’urgence d’une écologie culturelle, qui « préserve les richesses culturelles de l’humanité », l’importance d’une écologie de la vie quotidienne qui développe de façon intégrale la qualité de la vie humaine (espaces publics, logements, transports…), mais aussi la compréhension de la loi morale inscrite dans notre nature humaine. Il relie cette écologie intégrale au concept de bien commun, qui impose à la fois le souci des plus pauvres et la solidarité intergénérationnelle.
Sauver la maison commune
Pour ne pas en rester au constat ou à l’analyse, le pape François évoque des pistes d’actions concrètes. Pour construire ces actions, il faut sortir de l’idéologie et se rendre capable d’un dialogue authentique, puisqu’il s’agit de sauver notre « maison commune ». Ces idéologies, ou la défense d’intérêts particuliers, ont souvent nui à la réussite des sommets internationaux. Notre interdépendance nous oblige pourtant à nous rendre capable d’un projet commun et à penser un monde unique.
Sans doute, dans les projets de développement au niveau local, il est plus facile de se sentir responsables. Cela implique que les acteurs politiques et économiques renoncent à une logique fondée uniquement sur l’efficacité, électorale ou financière, au profit d’une logique de développement vraiment intégral, qui prenne le temps d’un vrai discernement dans un processus de décision réellement transparent.
Le Pape met aussi en garde : « le protection de l’environnement ne peut être assurée uniquement en fonction du calcul financier des coûts et des bénéfices. L’environnement fait partie de ces biens que les mécanismes du marché ne sont pas en mesure de défendre ou de promouvoir ». Le Pape appelle donc à nouveau à promouvoir « une nouvelle économie plus attentive aux principes éthiques, et une nouvelle régulation de l’activité financière spéculative ».
Formation des consciences
Enfin, le Pape termine par l’importance de l’éducation et de la formation des consciences, pour que cette « conversion écologique » devienne effective et soit portée par tous. Il nous encourage à « miser sur un autre style de vie », en étant conscient du réel pouvoir que nous avons : les choix des consommateurs peuvent réussir à « modifier le comportement des entreprises, en les forçant à considérer l’impact environnemental » de leur modèle de production. Le changement de notre mode de vie et de nos choix de consommation peut exercer « un pression saine sur ceux qui détiennent le pouvoir politique, économique et social ». C’est ainsi qu’en dépassant notre individualisme, « un changement important devient possible dans la société ». Cette éducation nous fera prendre conscience « qu’une écologie intégrale est aussi faite de simples gestes quotidiens par lesquels nous rompons la logique de la violence, de l’exploitation, de l’égoïsme ». Le Pape nous invite à résolument faire le choix d’une vie sobre : « la sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente, est libératrice (…) le bonheur requiert de savoir limiter certains besoins qui nous abrutissent »
C’est surtout avec la figure de saint François d’Assise que le Pape illustre tout cela : cette belle figure, « modèle d’une écologie intégrale vécue avec joie et simplicité », nous montre combien sont « inséparables la préoccupation pour la nature, la justice envers les pauvres, l’engagement pour la société et la paix intérieure ».
Conclusion
Prenons le temps de lire cette encyclique du Pape François ! (avoir lu cet article jusqu’au bout ne nous en dispense pas !…). Il n’est pas le premier à nous parler du respect de la création mais, en matière d’écologie, cette encyclique est sans précédent.
N’oublions pas, comme le demande très concrètement le Pape, d’ajouter à notre examen de conscience cette dimension du soin apporté ou non au monde qui nous est confié, à travers notre comportement quotidien. C’est sans doute le premier fruit que devrait porter cette encyclique : elle va aider chacun, et nous chrétiens en particulier, à nous considérer comme réellement concernés par ces enjeux écologiques. Nous ne pouvons pas les déléguer seulement à d’autres. Au nom même de notre foi chrétienne, nous devons être aux avant-postes de cette « révolution écologique », en oeuvrant à ce qu’elle soit réellement « intégrale ». Tout est lié quand il s’agit de défendre et de promouvoir le bien commun. Enfin, même si le Pape veut nous responsabiliser, son encyclique n’a pas pour but de nous culpabiliser ou de nous démoraliser. Face aux défis immenses qui nous attendent, le Pape se fait au contraire encourageant et témoigne d’une belle espérance : « l’humanité possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune » … « tout n’est pas perdu, parce que les êtres humains, capables de se dégrader à l’extrême, peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se régénérer ! ». Au travail !