Microphone

Emmanuel Macron, la science et Dieu

Abbé Grégoire Sabatié-Garat
23 décembre 2021

Emmanuel Macron vient de publier une tribune (réservée aux abonnés de L’Express) dans laquelle il plaide d’un côté pour un renouveau de l’esprit scientifique en France, et de l’autre pour une coexistence paisible entre la science et « l’expression des religions ». Au-delà d’une éventuelle stratégie qu’il ne revient pas à un prêtre d’analyser, un Président de la République prend la plume pour disserter des rapports entre la foi et la raison. Le fait est suffisamment rare pour qu’on s’y attarde un peu !

Complotisme, relativisme, intégrisme : les fruits amers du … progressisme ?

Soutenir le travail scientifique répond non seulement à un besoin sanitaire, climatique et économique, mais aussi à l’urgence de retrouver le « goût du vrai » pour reprendre le titre d’un essai récent d’Etienne Klein. Emmanuel Macron dénonce avec raison la montée actuelle de mouvements complotistes (QAnon aux Etats-Unis), de l’intégrisme religieux et du relativisme selon lequel « tout-se-vaut ». L’enjeu est immense : il s’agit de préserver l’autorité de nos institutions scientifiques et politiques qui sont menacées par la dérégulation de l’information. Aux évêques français réunis aux collège des Bernardins en 2018, M. Macron affirmait déjà : « ce qui grève notre pays, ce n’est pas seulement la crise économique, c’est le relativisme; c’est même le nihilisme ». En tant que catholiques, on ne peut que se réjouir qu’un Président fasse l’apologie de la recherche authentique de la vérité ! Ce fut une des lignes directrices du pontificat de Benoît XVI, qui avertissait en 2005 : « on est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs ». Le pape François reprend cette critique du relativisme dans Fratelli Tutti (n° 206 et suivants).

Mais la critique présidentielle du relativisme n’est-elle pas en dissonance avec son action politique et le credo progressiste qu’il professait durant sa campagne de 2017 ?

Le Président de la République souhaite œuvrer pour « éviter que le flux informationnel auquel chacun est confronté ne présente des faits orthogonaux à ce que dit le consensus scientifique ». Le refus des faits établis scientifiquement est en effet contraire à la rationalité. Pourtant des faits reconnus par un « consensus scientifique » sont souvent ignorés en matière de bioéthique par le gouvernement actuel. Deux exemples suffiront: la légalisation de la « PMA sans père » et l’allongement du délai de l’IVG à quatorze semaines. Que l’on soit pro-life ou pro-choice, il faut reconnaître qu’un embryon de quatorze semaines constitue selon la science médicale une vie humaine et qu’un enfant est toujours, selon la même science, le fruit d’un père et d’une mère ! L’agenda politique semble ici prévaloir sur le primat de la vérité scientifique. Il serait souhaitable que notre Président mette la conception de la vérité qu’il défend avec justesse en cohérence avec ses choix politiques.

Plus encore, n’y aurait-il pas un lien entre le progressisme sociétal revendiqué en 2017 par le candidat Macron et le relativisme scientifique justement déploré par le Président ? Faire du progressisme un horizon politique contient en soi une forme de relativisme, ou du moins une fragilisation de la rationalité. En effet le progressisme, s’il est possible de le définir, décrit un mouvement plus qu’un contenu : il s’agit de s’affranchir de ce qui est présenté comme réactionnaire, liberticide ou stéréotypé. Le progressisme se réjouit du changement pour lui-même, sans s’appuyer sur la raison pour déterminer si ce changement est bon ou mauvais. Vouloir structurer de manière binaire l’action politique entre progressistes et conservateurs participe à la défaite de la raison. Car le progressisme (comme le conservatisme) fait primer le mouvement (ou l’absence de mouvement) sur le débat rationnel. Ce n’est peut-être pas un hasard si la pratique du fact-checking, censée lutter contre les fausses informations, s’impose en même temps que les idéologies progressistes de la déconstruction triomphent dans certaines universités.

L’abbé Lemaître (théoricien du Big Bang) avec Albert Einstein

« Et Dieu dans tout ça ? »

Après avoir fait la promotion d’un renouveau scientifique, Emmanuel Macron poursuit de manière étonnante par cette question : « Et Dieu dans tout ça ? » Le Président de la  République défend l’idée que « contrairement à ce que l’interprétation toute voltairienne des Lumières françaises a longtemps imposé comme grille de lecture, ce programme de développement de l’esprit scientifique ne s’oppose en rien à l’expression des religions ». Emmanuel Macron souligne non seulement que les traditions religieuses ont leur place dans la modernité, mais aussi qu’elles ont enrichi la culture scientifique. A nouveau, comme catholiques, on ne peut qu’apprécier de voir le positivisme – doctrine matérialiste réduisant la réalité aux faits observables scientifiquement – critiqué par la plus haute autorité de l’État ! Le péril d’un « positivisme forcené » semble cependant dépassé depuis longtemps, les sciences dures ayant elle-mêmes reconnu au XXème siècle leur propres limites pour expliquer le réel, comme l’ont rappelé les auteurs de Dieu, la science, les preuves, l’un des best-sellers du moment.

On peut regretter dans les propos présidentiels certaines imprécisions historiques sur l’apport des religions à la science. On peut aussi trouver un peu grossière sa manière de juxtaposer la foi et la raison sans vraiment les articuler. Qu’entend-il d’ailleurs par « foi », au-delà du très vague « besoin de transcendance » qu’il évoque ? On peut enfin s’étonner qu’il traite le rapport entre science et foi sans tenir compte des différences entre les traditions religieuses. Lisons à ce sujet le discours magistral de Benoît XVI prononcé à l’Université de Ratisbonne en 2006 : la synergie entre foi et raison est bien différente dans la tradition catholique et dans la tradition musulmane ! Il me semble enfin que ce n’est pas le rôle du Président de la République de se prononcer sur la compatibilité entre la foi et la raison car il s’agit d’un jugement théologique propre à chaque tradition. Mais il a bien-sûr le droit de s’exprimer sur ce sujet à titre personnel ! Cela étant dit, il convient de saluer son approche positive de la laïcité. Celle-ci tranche avec une interprétation erronée de la loi de 1905 qui a souvent confondu l’exigence de neutralité religieuse de l’État comme institution avec l’effacement ou la privatisation de la religion au sein de la société française.

Le vénérable Jérôme Lejeune

Un enjeu pour les catholiques

En septembre dernier, j’avais la joie de participer à l’Université d’été d’Acteurs d’Avenir. Parmi les jeunes avec qui j’ai discuté, beaucoup étaient inquiets des évolutions des bio-technologies ou de l’intelligence artificielle. Ils craignaient à juste titre de laisser à leurs enfants une société qui aurait perdu le sens de l’humain pour se fourvoyer dans le transhumanisme.

Réfléchir sur les rapports entre notre foi et la science nous invite à une implication plus active dans la recherche scientifique. Seuls ceux qui pratiquent la science avec une conscience morale éclairée pourront contribuer à un progrès authentique de la société. A l’exemple du désormais vénérable professeur Jérôme Lejeune, les chrétiens doivent investir les lieux où sont conçues et appliquées les évolutions scientifiques. Dans un futur proche, les enjeux ne manqueront pas !

Le Créateur a doté les hommes d’intelligence pour qu’ils participent librement à son œuvre créatrice. Mais l’intelligence humaine est aussi blessée par le péché d’orgueil. Il faut donc demander au Christ de venir sauver notre intelligence pour qu’elle demeure au service du bien!

Abbé Grégoire Sabatié-Garat

Abbé Grégoire Sabatié-Garat

Diocèse de Versailles. Ordonné en 2020. Diplômé de l’Essec, licencié en philosophie et en Écriture Sainte. Actuellement vicaire à la paroisse de Conflans-Sainte-Honorine. Supporter du PSG et mélomane.

Partager