François, curé pour tous
L’interview donnée par le Pape François aux journaux jésuites en août 2013 n’a pas tardé de faire les gros titres de la presse grand public. Pas forcément pour les bonnes raisons… Les médias ont voulu y voir une révolution, ce qui est forcément plus vendeur. Une journaliste d’Itélé ouvrait ainsi son sujet : «le Pape prend ses distances avec l’Eglise» ! On aurait pu alors parler de séisme ! Absurde… Ce qui est dommage, c’est que ces outrances médiatiques habituelles risquent soit de troubler les plus fragiles dans la foi, soit d’induire en erreur ceux qui ne connaissent pas grand chose, soit enfin de nous empêcher tous – cathos ou moins cathos – de voir ce qu’il y a de très beau dans les propos du Pape.
Avant tout, prenez le temps de lire ces …30 pages ! Sérieusement, c’est facile. Un langage simple, concret, direct. Beaucoup de sujets sont abordés, jusqu’aux goûts musicaux du Pape (on vous laisse deviner…). Surtout, cela évite de sortir les phrases de leur contexte et de la cohérence de l’ensemble. C’est le B-A, BA. ( On trouve le texte ici par exemple ).
Ce qu’a vraiment dit le Pape
Quel est le cœur du message du Pape ? Il tient en quelques mots (mais ce n’est pas une raison pour ne pas lire les 30 pages !) : l’urgence, aujourd’hui, est d’annoncer au monde la Miséricorde de Dieu. Voilà. C’est tout. Et c’est énorme.
Le Pape s’explique : face à des personnes si blessées par le péché, la perte de sens, les crises de toute sorte, la violence ou le doute… l’urgence est de faire redécouvrir l’amour inconditionnel de Dieu. Le Pape utilise même une image très parlante : l’Eglise est comme « un hôpital de campagne », ces hôpitaux que les militaires sont capables de déployer au plus proche du champ de bataille pour soigner les blessés les plus graves. Devant un blessé de guerre, mutilé et hurlant de douleur, on ne commence pas par examiner son diabète. On pare au plus urgent ! Or, le plus urgent, c’est de faire redécouvrir au monde combien il est aimé de Dieu. L’essentiel, c’est d’annoncer « Jésus Christ, venu pour nous sauver ». Ce qui doit être premier dans notre prise de parole, c’est d’expliquer que Jésus est présent dans toute vie, même la plus abîmée. La première bonne nouvelle à partager, c’est d’abord que Dieu aime toute personne pour elle-même, et ne la réduit pas à ses fautes ni à ses faiblesses.
Amour de la morale ou morale de l’amour ?
Faut-il tirer un trait sur les exigences morales ? Non, bien sûr que non ! Mais attention à ne pas réduire le christianisme à une morale, même très belle. La foi chrétienne, c’est d’abord une personne : Jésus-Christ. C’est une relation d’amitié, d’amour avec Lui. C’est un grand Amour qui m’attend… Le reste, ce qu’il faut croire et vivre, en découle. C’est en effet quand nous aurons découvert cet amour de Dieu que nous comprendrons ce qui en découle pour nos vies. C’est quand nous serons devenus amis du Christ, qu’Il pourra nous aider et nous rendre capables de vivre peu à peu ce qu’Il nous demande.
Tentons un mini-test : vous croisez quelqu’un dans le métro, qui vous pose une question sur ce qu’est votre foi. Vous avez 3min … Allez-vous commencer par lui dire qu’il ne faut pas voler, qu’il ne faut pas mentir et que vous êtes contre l’avortement ? Sûrement pas… et vous avez raison ! A l’ami qui se rapproche pour découvrir votre foi, qui a soif de Dieu et qui cherche la Vérité, vous allez commencer par lui parler de cet Amour de Dieu, venu aussi pour lui. Du pardon offert à tous. Du grand Bonheur véritable et éternel pour lequel nous sommes tous appelés. De cette amitié avec Dieu à laquelle tout homme, même très loin ou très pécheur, est appelé.
En ce sens, vous ne faites pas autre chose que ce qu’a fait Jésus avec Zachée. Il n’a pas commencé par dénoncer ses fautes ; il lui a exprimé son désir de venir le visiter. Zachée, bluffé, l’a reçu. Au contact de Jésus, il a compris qu’il devait arrêter de voler et rendre l’argent. Il faut toujours d’abord rencontrer Jésus.
Cette attitude est aussi celle de vos prêtres, quand ils vous reçoivent, en confession ou pour une discussion personnelle. Le curé, c’est celui qui accueille largement et ne commence pas par vous écraser de l’addition de tout ce qui ne va pas… Il essaye de vous manifester, en vous accueillant tel que vous êtes, cet amour paternel de Dieu, bien plus grand que nos offenses. Comme un père, il veut reconnaître aussi, et surtout, le bien qu’il y a en vous, vous aider à voir la présence de Dieu dans votre vie et vous encourager en vous montrant que vous valez toujours plus que ce que vous faites. Voilà ce que veut dire « accompagner avec miséricorde les personnes, en fonction de ce qu’elles vivent réellement ». C’est ne pas les enfermer dans leur péché ou leurs limites mais leur ouvrir une espérance, les encourager et les faire grandir. Au fond, le Pape se révèle dans ce texte comme un bon curé, au sens propre du terme : « cura animarum » « celui qui prend soin des âmes ». Et voilà pourquoi vos prêtres se retrouvent bien dans ce que dit le Saint-Père : c’est l’expérience qu’un prêtre sur le terrain vit au jour le jour. C’est simplement beau de voir le pape s’exprimer avec ce cœur de « curé », se faire ainsi le curé de tous.
Miséricorde et justice
Doit-on forcément taire les exigences qui font difficulté pour ne pas blesser encore plus ? Non, là encore. Le Pape rappelle simplement qu’il faut discerner quand il est opportun ou nécessaire de les exposer.
Deux exemples montrent qu’il n’y a pas lui-même renoncé, contrairement à ce que les médias ont laissé penser. Lorsqu’il était Cardinal-Archevêque de Buenos Aires, il s’est opposé avec vigueur au mariage homosexuel. Et sur la qualification morale des actes homosexuels, il renvoie dans son interview à ce que dit le Catéchisme de l’Eglise Catholique. Il ne bouge pas d’un iota. Ce qui ne l’empêche pas d’exprimer en même temps l’importance d’accompagner les personnes homosexuelles sans jamais les juger elles-mêmes. Et celles-ci, comme chacun, doivent être aimées pour elles mêmes, telles qu’elles sont, sans qu’on les réduise à tel ou tel domaine de leur vie.
Sur la question de l’avortement, le Pape exprime aussi combien il est important d’offrir le pardon aux femmes blessées qui regrettent leur geste. Ce qui ne l’empêche pas de dénoncer vigoureusement l’avortement et l’euthanasie dans un discours tout récent devant des médecins.
Bref, le Pape ne renonce pas à proclamer la vérité, mais nous rappelle que celle-ci ne peut être reçue sans la charité. La charité est même la condition première pour rendre la vérité audible, surtout dans un monde blessé.
Le Pape, premier curé de ce monde, nous offre un bel exemple de miséricorde. Repoussant tour à tour rigorisme et laxisme, il nous recentre sur l’essentiel de notre message : « Dieu a tant aimé le monde, qu’Il a donné son propre Fils. Non pas pour condamner le monde, mais pour le sauver ». En cela, il est dans la droite ligne d’un Jean-Paul II, instituant la fête de la Miséricorde Divine et appelant sans cesse à une nouvelle évangélisation d’un monde déchristianisé. Il s’inscrit aussi dans l’œuvre d’un Benoît XVI qui titrait une de ses encycliques : « Caritas in Veritate », unissant intimement Charité et Vérité.
A leur suite, soyons serviteurs de la joie du monde, de nos proches, de nos amis ! En redécouvrant pour nous-mêmes, et en donnant à tous l’occasion de redécouvrir, la force et l’espérance qu’apporte cette Miséricorde. Que chacun puisse comprendre qu’il peut dire – comme le dit le Pape François de lui même – « je suis un pécheur sur lequel le Seigneur a posé son regard ».