Microphone

Pénaliser les clients de la prostitution ?

Abbé Pierre-Hervé Grosjean
02 décembre 2013

Un projet de loi sur la pénalisation des clients de la prostitution sera voté ces jours-ci à l’Assemblée Nationale et dans quelques semaines au Sénat. Il est important et juste de le soutenir. Voici pourquoi.

Tout en continuant d’interpeller les consciences sur des lois qui ne serviraient pas le bien commun (ou d’appeler les citoyens à s’y opposer), l’Église ne peut qu’encourager les projets qui vont dans le bon sens, quel que soit le gouvernement en place. L’enjeu est important : celui de servir le bien réel des personnes, mais aussi de soutenir les initiatives qui protègent et reconnaissent la dignité de toute personne humaine.

Ne pas se résigner au mal

Ce projet de loi est courageux. Il soutient que la prostitution peut et doit être abolie. Beaucoup répondent que c’est impossible, qu’il y a toujours eu des prostituées et qu’il y en aura toujours. Et alors ? Avec ce genre de raisonnement, bien des combats qui touchent au respect de l’être humain n’auraient jamais été entrepris comme l’abolition de l’esclavage ou la lutte contre la drogue ! La vraie question est de savoir si oui ou non la prostitution est un bien. La réponse est claire : c’est non ; ni pour la personne prostituée, ni pour son client. Peut-on se résigner à ce qu’un homme ou une femme soit réduit à vendre son corps à cause de difficultés personnelles, sociales ou économiques ou parce qu’elle est sous la coupe de maffias ou de réseaux ? A subir cette humiliation ? Nous savons que personne ne peut vivre cela et en sortir indemne. La prostitution est une violence faite aux femmes parce qu’elle ne respecte pas leur dignité. Le mérite de cette loi est de le dire et de le graver dans le marbre.

Passer du romantisme à la réalité

Certains expliquent que cette loi serait « moralisante » et qu’elle priverait de leur liberté des prostituées qui sont consentantes et volontaires… Après tout, n’est-ce pas le plus vieux métier du monde ? Un métier comme un autre ? 343 « salauds » (en réalité seulement 19… ) ont même osé réclamer dans un appel pathétique leur « droit à [leur] pute ». Ces arguments sont odieux et intenables. Un métier comme un autre ? Ces hommes le proposeraient-ils à leur fille, à leur propre mère ou à leur sœur ? Seraient-ils heureux de la savoir prisonnière d’un tel enfer ?

Cette loi a un autre mérite : briser l’image romantique de la prostitution. Les acteurs qui luttent contre ce fléau savent que c’est une réalité glauque, terrible et violente. 95% des prostituées sont forcées de se vendre sur les trottoirs de France. C’est une insupportable forme d’esclavage.

Il n’y a rien d’anodin à aller voir une prostituée. Le client ne peut se dédouaner de sa responsabilité et ignorer qu’il se fait complice d’une déchéance humaine. Dans l’immense majorité des cas, la personne prostituée aurait voulu ne jamais avoir à en arriver là. Elle n’est pas réellement consentante à ces relations sexuelles : elle y est contrainte par sa misère, sa détresse ou par les réseaux qui l’enchaînent. Avoir des relations avec une femme qui y est contrainte, cela porte un nom : c’est un viol. Avoir recours à une prostituée, c’est tout simplement payer le droit de violer. C’est user du pouvoir de l’argent pour posséder une femme. C’est participer à une dramatique inversion : faire de quelqu’un, quelque chose. Parce qu’elle responsabilise ceux qui ont recours à de tels comportements, cette loi envoie un rappel fort. Tant mieux.

L’efficacité éducative de la loi

Cette loi sera-t-elle efficace ? Nous l’ignorons encore. Elle devra certainement s’accompagner de moyens ambitieux de lutte contre les réseaux mafieux. Mais ce projet de loi est pour autant nécessaire, car il devient un symbole : il pose un repère moral fort que tous peuvent comprendre. Il est éducatif en réaffirmant que la prostitution est un mal et une violence faite aux femmes.

Comparons avec la pénalisation du consommateur de cannabis (ou des autres drogues). Cela n’empêche malheureusement pas complètement le trafic ; et cela ne veut pas non plus dire qu’on met en prison tout consommateur. Mais c’est éducatif. Si demain, la drogue était dépénalisée, on enverrait un signal dramatique à toute la société : un grand nombre essaieraient, d’autres consommeraient bien plus. L’usage serait normalisé, banalisé. La pénalisation n’empêche pas les personnes dépendantes de consommer mais elle préserve sans doute un certain nombre de le devenir et d’autres d’essayer. Il en va de même pour la prostitution. Savoir qu’on risque désormais 1.500 euros d’amende en fera hésiter, réfléchir ou renoncer certains.

Pourquoi l’Église en parle ?

De nombreuses associations – dont des associations chrétiennes – œuvrent avec courage pour apporter un soutien humain et spirituel aux personnes prostituées. Elles sont là pour aider celles qui veulent quitter la rue. Ces associations disent aussi combien il serait insupportable de poser un regard résigné sur la prostitution. Vous pouvez découvrir quelques témoignages ici.

Ce qui est en jeu c’est la marchandisation des corps, contre laquelle l’Église s’est toujours dressée. Le respect de la personne humaine passe par là. Car la marchandisation des corps, même consentante, est une régression dont les premières victimes sont les plus pauvres et les plus fragiles.

Il en va d’ailleurs de même au sujet de la gestation pour autrui (GPA), communément appelée pratique des « mères porteuses ». Espérons que le gouvernement aura le même courage pour s’opposer définitivement à cette autre dérive. Etonnement, les arguments sont les mêmes : certains expliqueront que ces femmes sont consentantes, que c’est un moindre mal, etc…  La réalité, ce sont les récentes « usines à bébés » démantelées en Inde, ce sont des femmes pauvres à nouveau exploitées, c’est un corps qu’on traite comme un objet pour servir à d’autres. Et cela aussi est tout simplement inacceptable.

Abbé Pierre-Hervé Grosjean

Abbé Pierre-Hervé Grosjean

Diocèse de Versailles, ordonné prêtre en 2004. Curé de Montigny-Voisins. Responsable des questions politiques, de bioéthique et d'éthique économique pour le diocèse de Versailles. Auteur de "Aimer en vérité" (Artège, 2014), "Catholiques, engageons-nous !" (Artège 2016), "Donner sa vie" (Artège 2018), "Etre prêt" (Artège, 2021).

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