Microphone

Présidentielles : critères de discernement

Abbé Pierre-Hervé Grosjean
21 mars 2017

Beaucoup ne sont guère satisfaits de cette campagne présidentielle 2017, qui ne semble permettre aucun réel débat de fond. Notre pays si fragilisé aurait pourtant bien besoin de profiter de ces élections pour vivre un vrai temps de discernement.

Discernement sur les questions majeures que nous rencontrons, les solutions à apporter, celui ou celle qui pourra le mieux les porter, discernement enfin sur les fondements et les repères communs qu’il nous faut retrouver pour vivre ensemble et que nous aurons à transmettre aux générations qui viennent. Mais ce discernement si nécessaire est empêché. Le débat semble impossible, comme si certains n’avaient pas intérêt à laisser s’exprimer un vrai dialogue de fond. Certains candidats d’abord, sans doute plus à l’aise dans le slogan ou l’incantation. Certains médias sûrement, préférant chercher le buzz qui rapporte de l’audience facile ou s’enivrant à l’idée de « faire l’élection » en flinguant les uns et encensant les autres. Leur travail serait pourtant nécessaire pour servir humblement la réflexion des Français en leur offrant les moyens d’un choix apaisé. Nos évêques pointaient déjà cette responsabilité dans le document « Retrouver le sens du politique » (à consulter ici) : « Les médias ont un pouvoir d’influence dans leur manière de présenter les choses, et une responsabilité dans la qualité́ du débat public quand ils préfèrent slogans, petites phrases, et a priori réducteurs, à l’analyse sérieuse et au débat respectueux. »

Malgré tout, il va bien falloir voter. L’Eglise rappelle que c’est un devoir moral pour tout catholique (voir Catéchisme de l’Eglise Catholique § 2240) et pas seulement un droit. Il faudra donc choisir, mais sur quels critères ? L’Eglise donne-t-elle des consignes de vote ? Bien sûr que non. Elle ne veut pas nous infantiliser. Elle en appelle au contraire à notre conscience, se mettant au service de notre liberté en éclairant notre discernement. Comme souvent, l’Eglise nous interpelle, nous éclaire, nous encourage à prendre en compte tel ou tel sujet… mais nous laisse ensuite libres. En cela, nous restons responsables de notre vote. C’est aussi ce qui explique qu’il peut y avoir un réel pluralisme chez les catholiques, comme nous allons le voir.

Je vous propose pour ma part trois étapes pour notre discernement. Il n’y a rien d’infaillible dans mes propos, mais ils peuvent peut-être aider certains d’entre vous.

Revenir au programme

Si nous critiquons l’absence de débat de fond, nous ne pouvons pas nous-mêmes en rester à la forme. Plutôt que de vouloir sonder les reins et les cœurs de nos candidats, sachons ce qu’ils veulent faire concrètement pour notre pays. Prenons le temps de lire ces programmes, pour ne pas dire demain : « nous ne savions pas… ».

Ces programmes, nous pouvons les lire à la lumière des deux textes que nos évêques nous proposent : ici et ici. Le premier liste quelques sujets essentiels sur lesquels ils attirent notre attention : projet de société, respect de la vie, éducation, famille, précarité, écologie, travail, immigration, violence, moralisation de la vie publique… Le deuxième dresse un constat grave et sérieux de la société, pour discerner les enjeux de cette élection importante.

Ces deux textes sont donnés pour éclairer notre discernement. La question à nous poser n’est pas : « existe-t-il un programme idéal et parfaitement conforme ? » (je ne le crois d’ailleurs pas) mais plutôt : « quel programme semble le mieux prendre en compte, même de façon imparfaite, les enjeux les plus décisifs pour notre société, avec l’éclairage que notre foi peut leur donner ?».

Au fond, il s’agit de discerner quel candidat et quel programme permettront que le bien commun, qu’une vision juste et respectueuse de l’homme et de la femme et les repères fondamentaux de notre société auxquels nous sommes tant attachés, puissent être protégés et reconnus plus largement. Il n’existe pas de « programme catholique » ni de programme parfait. Il existe par contre des cadres plus ou moins porteurs pour le bien commun et c’est à cela que nous sommes attachés comme catholiques, soucieux de l’avenir de toute notre société. Si les catholiques sont unis sur la finalité (le bien commun), ils peuvent ne pas avoir le même discernement sur les moyens (les mesures proposées par les candidats) qui vont permettre de progresser vers cette finalité. Quel « mieux possible » permettra chaque candidat ? A chacun de nous de discerner.

Empêcher de nouvelles transgressions

Si aucun de ces programmes n’est parfait, si « tout est lié » comme le dit le pape François, et qu’on ne peut réduire un programme à telle ou telle mesure qu’on y trouve, il me semble que notre conscience chrétienne doit rester particulièrement sensible aux questions éthiques qui touchent aux fondements même de la société, c’est-à-dire à l’anthropologie (vision ou définition de l’homme) sur laquelle se construit une vision authentique du bien commun. Pourquoi ? Parce qu’on touche là, comme l’ont toujours affirmé les papes, à la racine de tous les autres droits. Tout ce qui abîmera encore le respect de toute vie, la filiation, la famille… abîmera encore un peu plus toute la société.

Celle-ci a déjà été très fragilisée par différentes lois sociétales du quinquennat qui s’achève. Le minimum qu’on puisse espérer, c’est qu’il n’y ait pas de nouvelles transgressions éthiques dans les cinq prochaines années. Promouvoir le suicide assisté ou la PMA sans père – c’est-à-dire un droit à l’enfant généralisé – comme « nouveau progrès à conquérir » en dit long sur l’idée qu’on se fait du progrès… Il est encore temps pour les candidats concernés d’y renoncer, car cela ne pourrait que les disqualifier aux yeux de nombreux catholiques.

Ce progressisme éthique – même souriant – est destructeur. Il n’est pas un réel progrès car il ne fait qu’augmenter la confusion sur les grands principes qui doivent structurer notre vie ensemble. Une société libertaire, dans laquelle le désir individuel devient tout-puissant simplement parce qu’il est sincère, au détriment de la recherche du vrai bien pour tous, est une société toujours plus fragilisée et fracturée, dont les plus petits seront les premières victimes.

Certes, on mettra du temps pour reconstruire, et sans doute il nous faudra compter sur une prochaine génération d’élus pour cela. Certes, on peut regretter que certains ne soient pas plus courageux pour se libérer de la pensée dominante et reconstruire sans complexe ce que d’autres ont détruit sans scrupule. Mais si on peut au moins stopper la spirale de destruction, ce sera un premier pas et un cadeau pour les générations qui viennent.

Quel candidat et quelle équipe ?

L’élection n’est pas une canonisation. Je n’attends pas le Messie (il est déjà venu !) et ne réclame pas des candidats une perfection qui n’est pas de ce monde. Nos candidats sont à l’image de la société sécularisée de laquelle ils ont émergé. Ils en portent les désirs, les aspirations, les blessures, les fragilités et les faiblesses.

Ce qu’il nous faut discerner, c’est la capacité à gouverner des uns et des autres, dans le contexte national et international que l’on connaît. Si on croit au rayonnement de la France et à sa vocation universelle, il faut que la personne qui sera élue soit en mesure de l’incarner. Dans la situation de guerre contre l’islamisme radical, de tensions internationales, de désordre intérieur, il faut un président solide, capable de garder la tête froide et le sens de ce qu’il sert. Qui sache trouver les mots pour parler aux Français lors des heures difficiles que nous ne manquerons pas de connaître à nouveau. Qui puisse donner du sens aux efforts que les Français vont devoir faire pour relever notre pays, socialement, moralement, économiquement.

Ce chef ne sera pas seul à exercer le pouvoir. Il va arriver avec une équipe, il va nommer des ministres, des hauts-fonctionnaires… c’est toute la tête du pays qui va être ainsi remodelée, tous les leviers du pouvoir qui vont arriver dans de nouvelles mains (ou pas !). On ne peut pas ignorer cela.

C’est ainsi une autre question qu’on peut se poser : au-delà des qualités et des limites du candidat, fera-t-il émerger autour de lui des figures qui pourront porter l’idée du bien commun que nous nous faisons ? Quelle nouvelle génération d’élus nous donnera-t-il ? Avec qui voudra ou pourra-t-il gouverner ? Cet entourage n’est jamais d’un seul bloc, il y a une certaine diversité ; mais permettra-t-il au moins à une véritable vision du bien commun d’exister et d’infuser ?

Voilà quelques idées, qui mériteraient certainement d’être développées. Des hommes et des femmes se soumettent à notre vote. Ne laissons personne décider pour nous. Ayons cette liberté intérieure qui nous fait discerner avec maturité et gravité celui ou celle que nous reconnaîtrons comme notre autorité légitime pour les cinq années qui viennent. Ce n’est pas d’abord un choix affectif. C’est d’abord un choix de la raison. Il ne nous est pas toujours donné de pouvoir admirer nos chefs, ou d’être enthousiasmés. Mais passant au-dessus de toute amertume ou rêverie, il nous faut les choisir et avec eux, les idées qui demain arriveront au pouvoir. Que chacun discerne, choisisse et agisse aussi : c’est en parlant, en échangeant, en faisant vivre ce dialogue de fond, que votre choix et celui de ceux qui vous entourent pourront converger vers le bien commun ! Le pape François nous le disait aux JMJ de Cracovie : ne laissez pas l’histoire se faire sans vous !

Abbé Pierre-Hervé Grosjean

Abbé Pierre-Hervé Grosjean

Diocèse de Versailles, ordonné prêtre en 2004. Curé de Montigny-Voisins. Responsable des questions politiques, de bioéthique et d'éthique économique pour le diocèse de Versailles. Auteur de "Aimer en vérité" (Artège, 2014), "Catholiques, engageons-nous !" (Artège 2016), "Donner sa vie" (Artège 2018), "Etre prêt" (Artège, 2021).

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