En lisant Zemmour
« Le suicide français » est un succès incontestable dans les librairies et s’impose comme l’opus-événement de ce mois d’octobre 2014. Qu’est-ce qu’Eric Zemmour peut nous dire à nous autres, catholiques français ?
Nuances et convictions
Le suicide français appelle d’abord quelques considérations de base. Il ne s’agit pas pour nous d’entrer ici dans les polémiques sur la véracité historique de tel ou tel fait. Retenons plutôt que, comme toujours avec Zemmour, c’est bien écrit, alerte et un brin sarcastique. Le lecteur apprend une multitude de faits de notre histoire récente, on tape sur les « élites »… Bref, le lecteur ressort plutôt satisfait. C’est d’ailleurs mon cas !
Puis s’opère le travail de réflexion et quelques remarques s’imposent. Zemmour enrichit notre sens de l’observation politique en prenant du recul sur notre actualité trop souvent collée à l’immédiat. Il est très agréable de voir défiler l’histoire sous l’angle de chansons, de films et d’anecdotes. En même temps, notre auteur a la mainmise sur l’histoire : il décrète ce qui est le point de départ d’une France qui lui plaît – la France, et pas n’importe laquelle, celle du général de Gaulle – une France souveraine qui a la maîtrise de son destin. Il choisit les faits qui lui semblent significatifs et qui confortent sa thèse. A ces faits, il donne la couleur du déclin ; d’autres observateurs auraient pu donner une autre teinte à tel ou tel événement. Enfin, et c’est important, Zemmour traite du suicide français et non du meurtre français. S’il est possible, à travers ce livre, de dresser le portrait de quelques individus accusés d’avoir « trahi » la France, aucun groupe de personnes n’est désigné. On évite ainsi un certain manichéisme contre lequel notre auteur s’insurge. Il est vrai, cependant, que les technocrates ne semblent pas particulièrement être mis en valeur (c’est le moins que l’on puisse dire !), même s’ils sont davantage décrits comme les héritiers de leur époque – celle de mai 1968 – que comme les responsables de tous nos maux.
Ces remarques faites, le livre reste source d’interrogations. La conclusion est imparable : « La France est morte ». Comment réagir en tant que catholiques face à cette conclusion ?
De fausses réactions
– le poujadisme : « C’est bien ce que je pensais : ils sont tous pourris ! » Dans le livre, il semble clair que certains dirigeants préfèrent se servir plutôt que servir. D’autres agissent au nom d’une idéologie qui détruit cet esprit français, cher à Zemmour. Cependant, cette réaction est l’arme des faibles. Elle ne mène nulle part et, au fond, est de la désespérance. « Tous pourris »… donc je ne m’engage pas. Le Seigneur nous invite à quelque chose de plus grand.
– la nostalgie : « Vivement le retour d’un Roi chrétien ! ». Il s’agit là d’une réaction qui peut être envisagée sur le plan institutionnel. Au fond, la démocratie est un mode de gouvernement ; d’autres modes sont possibles. Mais alors, quel « candidat » serait légitime ? Comment le présenter à nos concitoyens qui ne semblent pas vraiment prêts à cette option ? Il faudrait déjà vérifier qu’en nous, il n’y ait pas simplement une illusion nostalgique, un rêve d’enfant que nous aimerions voir se réaliser. Comment parler de Roi à la française (donc pleinement souverain) alors que nous sommes engagés dans l’Union Européenne ? L’idée du retour du roi ne semble pas des plus évidentes, et en tout cas pas de portée immédiate.
– le cynisme : « La France est morte » dit Zemmour, soit, laissons-la mourir et puis nous reconstruirons ! Cette politique du pire ne semble pas très chrétienne. Elle sous-tend que nous vivrions à part de la société. Ce peut être une interprétation du « dans le monde mais pas du monde » exprimée dans l’évangile. Cependant, l’idée que l’on reconstruira sur des ruines est une idée naïve, car jamais la société ne viendra chercher les chrétiens pour leur dire « Revenez, c’était mieux avant ! ». Ne pas participer aujourd’hui à la vie sociale de notre pays, c’est se couper demain de la possibilité d’y jouer un rôle.
– le toujours plus : « Je ne voterai pour un parti et un candidat que lorsqu’il reprendra fidèlement chacun des points de la doctrine catholique ». Alors vous risquez de ne pas voter souvent et du coup de ne pas participer beaucoup à la vie politique du pays. Attendre que le candidat idéal et parfait arrive, tel un nouveau Messie, est une drôle de conception de la vie politique. Au temps de Jésus aussi, certains pensaient qu’il allait prendre le pouvoir. A la grande déception de beaucoup, cela n’a pas été son choix ! Quant à attendre qu’un parti catholique, le parti de l’Eglise, se monte, c’est une autre illusion (voire une douce erreur). Jamais aucun parti ne pourra prétendre rendre compte exactement de la doctrine de l’Eglise. En matière de choix pratiques, la Vérité se traduit de manières bien diverses.
Une solution ?
Il n’existe pas une solution ! Jamais la voie la plus facile, celle qui demanderait le moins d’efforts ne pourra être choisie. Croire qu’il faut attendre un signe ou un événement pour s’engager est une erreur.
Le catholique doit être acteur de la vie de son pays, se préoccupant et s’intéressant à l’actualité de celui-ci. Nous n’avons pas deux patries : le Vatican et la France. Nous n’avons qu’une seule patrie : la France, et c’est ce pays qui nous est donné pour qu’en ce lieu nous annoncions le salut en Jésus-Christ et que nous mettions en œuvre des moyens, y compris politiques, pour travailler au bien commun.
Les voies d’action sont multiples selon notre histoire et selon ce que l’Esprit-Saint nous pousse à faire. L’Espérance est notre plus grand trésor, ne le perdons pas ! « Duc in altum ! » – « Avance au large », dit Jésus à Pierre.
[Eric Zemmour, Le suicide Français, Paris, Albin Michel, 2014, 544 pages, 22.90 euros]