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La famille, incubateur d’humanité

Père Jean-Baptiste Siboulet
16 mars 2021

Le 19 mars prochain, à l’invitation du pape François, nous entrerons dans une « année de la famille ». À quoi bon une autre année à thème ? N’avons-nous pas déjà de quoi nous occuper avec « l’année Laudato Si’ » ou encore « l’année saint Joseph » ?

Si le pape nous propose une telle année, ce n’est pas d’abord pour défendre la famille contre toutes les attaques dont elle est régulièrement l’objet, mais peut-être parce qu’elle constitue une ressource unique pour traverser la crise dans laquelle nous sommes.

La famille constitue en effet la cellule de base de toute société humaine, le lieu du jaillissement et de l’accueil de la vie, le socle qui donne à toute personne une place unique sur terre. Elle est donc le lieu par excellence pour apprendre à devenir toujours plus humain.

La famille, frein au désir de toute-puissance

Lorsque je retrouve sur le visage de mon père mon sourcil épais et sur celui de mon grand-père mes yeux plissés, je fais l’expérience d’hériter de tout un patrimoine qui m’inscrit dans une lignée, dans une histoire, dans une famille. Dans ces traits charnels s’expriment pourtant une vérité hautement spirituelle : je viens de quelque part et je ne me suis pas construit tout seul.

La famille apparaît comme un rempart contre les folies du transhumanisme qui veut exciter notre désir de toute-puissance et faire la chasse à tout ce qui est imperfection, limite ou fragilité.

Ma famille m’apprend au contraire que je n’ai pas choisi ce que je suis et que je n’ai pas non plus choisi mes proches. Comme le dit le philosophe Fabrice Hadjadj, « la famille, c’est toujours l’amour du vieux con et du jeune abruti, et c’est cela qui la rend si admirable ». La famille nous apprend à nous aimer, pas d’abord parce que nous nous entendons bien, mais parce que la vie nous a confiés les uns aux autres.

La famille peut aussi être un fardeau fatigant, encombrant, voire discréditant. On voudrait parfois la changer et même s’en débarrasser. Mais rien à faire, comme le sparadrap du capitaine Haddock, notre famille nous colle toujours à la peau !

La famille sera donc toujours ce qui nous ramène à la réalité. Car, en famille, je ne suis que moi. C’est reposant, mais c’est aussi décevant. En famille, ressurgit parfois en nous quelque chose de l’enfant qui n’a pas fini d’être éduqué. Et nous n’aimons pas trop ça…

Vous pouvez cumuler les réussites mondaines et cacher vos défauts sous de multiples artifices, il y en a une que vous ne pourrez jamais tromper : c’est votre maman. Elle a changé vos couches et vous a vu pleurer lorsque vous aviez peur du noir. Elle voit en vous ce que vous ne voyez pas vous-même. Ainsi, la volonté de toute-puissance et d’indépendance est toujours contrariée par la proximité familiale. La famille fait tomber nos masques et nous ramène à la vérité de ce que nous sommes.

La famille, socle de toute existence

La violence des faits divers qui agitent régulièrement l’actualité, le nombre croissant de burn-out ou d’addictions témoignent du mal-être de beaucoup de nos contemporains. Or, la famille peut être un puissant remède en ce qu’elle donne à chacun une place, sa place. Elle a vocation à être ce cocon rassurant, cette oasis ressourçante, qui aide à affronter la rugosité de la vie.

« Nous, on est très famille ! », entend-on parfois. Le cercle familial a effectivement quelque chose de spécifique qu’on ne trouve pas dans la bande de copains. Lorsqu’elle n’est pas déchirée par les divisions, la famille offre un ressourcement qui est différent de celui qu’offrent les amis, et même les très bons amis. Car en famille, je reviens à mon origine, à mes racines les plus profondes : celles qui me posent dans l’existence.

Comme prêtre, dans l’accueil des familles en deuil, je suis frappé de constater qu’il n’y a pas d’âge pour pleurer la mort de ses parents. Le départ de ceux qui nous ont donné la vie est toujours un choc, un tremblement de terre qui nous fait vaciller. Je pense aussi à cette femme âgée qui pleurait encore, 70 ans plus tard, les problèmes de couple de ses parents.

La famille, c’est ce qui nous pose dans l’existence. C’est pour cela que les blessures familiales sont si déstabilisantes : elles nous font perdre notre équilibre existentiel. Tout au long de notre vie, nous ne cessons de puiser notre énergie vitale dans la matrice familiale d’où notre vie a jailli.

La paix du monde se joue dans nos familles

Nous en faisons tous l’expérience, la vie familiale peut être source de tensions et de blessures. Mais parce qu’on ne choisit pas sa famille, on y apprend à accueillir l’autre tel qu’il est, sans possibilité de fuite. Par-delà les incompréhensions et les torts, on y apprend à aimer et à pardonner.

En cela, la vie de famille développe en nous des ressources très précieuses pour toute la société. À la question de savoir ce qu’on peut faire pour promouvoir la paix dans le monde, Mère Teresa répondait : « Rentrer chez vous et aimer votre famille ». Elle ajoutait : « La paix et la guerre commencent chez soi. Si nous voulons vraiment la paix dans le monde, commençons par nous aimer les uns les autres dans nos propres familles ». Soyons donc des artisans de paix dans nos familles. La paix du monde en dépend.

Père Jean-Baptiste Siboulet

Père Jean-Baptiste Siboulet

Diocèse de Nantes, ordonné en 2017, prêtre de la communauté de l’Emmanuel (emmanuel.info). Licencié en droit et en ecclésiologie/œcuménisme. En ministère à la paroisse Sainte-Madeleine de Nantes et aumônier d'étudiants. Aime le piano, le rugby, l'auto-stop et la rando.

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