Les mensonges du Professeur Frydman
On ne parle que de cette dernière prouesse scientifique, le jour même de l’ouverture des débats parlementaires sur la bioéthique : la naissance du premier « bébé médicament ».
Le Professeur Frydman est venu défendre sur les ondes son exploit technique et scientifique, qui aurait dû enthousiasmer tout le monde à l’écouter. Pourtant cette prouesse ne fait pas du tout l’unanimité. Des parlementaires se sont insurgés, les évêques ont tiré la sonnette d’alarme, les associations mettent en garde, un sentiment de malaise semble partagé par beaucoup… Pourquoi ? Simplement parce que le bon sens est encore partagé par beaucoup.
Dire la vérité
Soyons clairs : il ne s’agit pas ici de juger les parents concernés. Comment ne pas comprendre leur espoir de donner naissance à nouveau, en éviter de transmettre la maladie génétique qui touche leurs deux premiers ? Et si en plus, ce 3ème pouvait être compatible avec le 1er ou le 2ème, cela permettrait de les soigner…
Mais une fois encore, se pose la question du droit à l’enfant, et à l’enfant parfait. Sous couvert d’intentions louables (venir au secours de la détresse d’un couple), on en vient à franchir des lignes rouges pourtant essentielles, qui protégeaient, elles, le droit de l’enfant. Le Professeur Frydman est d’ailleurs bien conscient que le terme « bébé médicament » sonne mal. Cette expression laisse en effet transparaître le problème : ce bébé est le fruit d’une double sélection : on a choisi un embryon sain, puis parmi les embryons sains, un embryon compatible. Pourquoi vient-il à la vie, lui et pas un autre ? Parce qu’il est compatible. Parce qu’il va pouvoir servir. Être utile. Un médicament. C’est en tout cas un des critères de tri. Alors le professeur Frydman demande au journaliste, sur Europe 1, ce soir, d’appeler ça autrement. « Bébé du double espoir » nous dit-il. Comment ne pas être pour, du coup ? Quand on commence à changer les mots, on veut faire oublier la réalité moins lumineuse qui se cache derrière.
La ligne rouge est franchie : on sélectionne des embryons, pour éliminer ceux qui ne sont pas sains et même ceux qui ne sont pas compatibles. Cela porte un nom, terrible : eugénisme.
Le Professeur Frydman développe un argumentaire indigne de ses fonctions, s’en prenant avec violence à l’Eglise, l’accusant de ne pas aimer les enfants, ni de comprendre la détresse des parents. Il ne peut s’empêcher de faire une allusion à peine voilée aux scandales pédophiles, laissant imaginer que l’Eglise n’aime les enfants que pour abuser d’eux. C’est ignoble, odieux, mais ça laisse juste entrevoir la haine de cet homme pour ceux qui l’empêchent de trafiquer la vie tranquillement.
Technique et éthique
L’Eglise n’a pas vraiment de leçon à recevoir dans le domaine de la compassion. Elle sait ce que c’est que d’accompagner des couples dans l’épreuve, des personnes handicapées, des familles en souffrance. Elle est témoin de cette immense douleur de tant de couples. C’est bien consciente de tout cela qu’elle encourage les scientifiques et les politiques à prendre de la hauteur face aux cas particuliers. Ne demandons pas aux parents d’être héroïques.
Mais tout ce qui est techniquement possible n’est pas forcément éthiquement bon. Or, c’est héroïque pour des parents de refuser ce qui est pourtant possible techniquement, pour garder une conscience juste. C’est trop leur demander. C’est donc aux gouvernants, à la loi et aux médecins de savoir dire stop. De mettre une frontière éthique à la technique. Le désir d’enfant, ô combien compréhensible, ne peut tout justifier. La fin ne justifie pas les moyens. Un être humain a une valeur pour ce qu’il est, pas seulement pour ce qu’il peut faire. Même s’il fait le bien.
Ce double tri d’embryons est un pas de plus dans une pratique eugénique qui ne dit pas son nom. Et pour obtenir cet enfant, il a fallu ainsi sacrifier plusieurs embryons : ça fait beaucoup à porter pour cet enfant ! Qui sera là pour l’aider quand il comprendra tout ça ? Le principe de précaution, si utilisé partout ailleurs, devrait aussi servir en médecine : comment continuer ces manipulations sans savoir les répercussions graves qu’elles pourront avoir sur l’enfant ? Celui qui est né pour guérir son frère. Celui qui doit guérir son frère. C’est une de ses raisons d’être…
Enfin, rappelons que si l’Eglise intervient, ce n’est pas en s’appuyant sur des motifs religieux, mais bien sur les droits de l’homme et la dignité de l’être humain. Y compris et d’abord celle de ces petits, les plus fragiles, que sont les embryons. Leur droit à la vie ne peut dépendre d’un tri, quelque soit le motif. C’est un des droits de l’homme de ne pas tenir la valeur de sa vie de son utilité, mais de ce qu’il est.
Monsieur Frydman peut donc éviter de nous ressortir l’habituel couplet sur le méchant dogme religieux qui empêche le progrès, fait pleurer les pauvres et s’oppose au bien-être de la société. Personne ne l’oblige à croire. Mais on peut juste lui demander de ne pas mentir…
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ANNEXES : trois textes pour aller plus loin
– Communiqué des Evêques de France :
« Vouloir guérir son frère en humanité est à l’honneur de l’homme. Tant de personnes y consacrent leur vie ! Accompagner la souffrance de parents qui ont un enfant gravement malade est un devoir de la société. Nous comprenons leur détresse et leur espoir dans la médecine. En revanche, légaliser l’utilisation de l’être humain le plus vulnérable pour guérir est indigne de l’homme. Concevoir un enfant pour l’utiliser – même pour soigner – n’est pas respectueux de sa dignité. Que dira l’enfant quand il se découvrira « bébé médicament » ? Un tel utilitarisme est toujours une régression. Il est dangereux pour une société de ne pas respecter « l’intérêt primordial » de l’enfant stipulé par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Nous encourageons la recherche afin qu’elle trouve de plus en plus les thérapies appropriées. »
– Réaction d’Alliance Vita :
Tugdual Derville, délégué général de l’Alliance Vita, réagit à l’annonce de la naissance du premier bébé médicament français, la veille du débat parlementaire bioéthique.
« Nous ressentons un profond malaise devant ce qui reste un coup publicitaire assorti d’un habile plan de communication car on annonce évidemment cette première pour faire pression sur les parlementaires au moment même où s’engage l’examen du projet de loi.
Trois graves instrumentalisations associées à la technique du double DPI sont dissimulées :
– exploitation de la souffrance liée à la maladie : déjà dix autres familles frappées par la maladie génétique ont vécu ce processus sans succès ; pour elles, le bébé-médicament s’est soldé par un faux espoir.
– chosification de la vie humaine : il a fallu concevoir de nombreux embryons pour que naisse celui prénommé « Notre espoir ». Comment justifier le tri et la destruction de tant d’êtres humains, au motif qu’ils n’étaient pas immunologiquement « compatibles » avec leurs aînés ?
– instrumentalisation d’un nouveau-né qui porte une mission inhumaine : il a été conçu, non pas pour lui-même, mais pour un autre. C’est une grave atteinte à sa dignité avec de forts risques de séquelles psychologiques, notamment s’il déçoit.
Tout cela est d’autant plus contestable qu’il existe une alternative éthique et démocratique à ces manipulations : l’utilisation du sang de cordon puisé dans le stock français et international existant. C’est l’occasion de rappeler le retard de la France dans ce domaine alors que 820 000 naissances permettraient largement de répondre aux besoins de greffons compatibles. Sous couvert de la louable intention de guérir un enfant, on a sélectionné un frère selon l’objectif qu’on a voulu lui assigner, et on a détruit d’autres frères et sœurs, qui n’étaient pas conformes à ce projet. C’est une forme particulièrement pernicieuse d’eugénisme. »
– Argumentaire de la Fondation Jérôme Lejeune :
« Présenté abusivement comme une prouesse médicale, le bébé médicament n’est que le fruit d’une technique doublement eugénique, inutile et mensongère.
1. Le bébé médicament : une technique doublement eugénique
Autorisé par la loi de bioéthique de 2004, à titre expérimental, le bébé-médicament nécessite un double tri d’embryons. D’abord, il faut éliminer les embryons porteurs de l’affection dont souffre le grand frère ou la grande soeur à soigner. Ensuite, dans le stock d’embryons sains, un 2ème tri est effectué qui permet de ne garder que des embryons compatibles pour la greffe envisagée. C’est-à-dire qu’on admet explicitement de supprimer des embryons sains qui n’ont pas la chance d’être compatibles pour une greffe. Il s’agit donc d’une double transgression. Pour obtenir un embryon qui corresponde au «cahier des charges» on a évalué qu’il faut trier et éliminer 100 embryons «non compatibles».
2. Le bébé médicament : une technique inutile
Il importe d’autant plus de refuser cette évolution que le développement des banques de sang de cordon fait du bébé médicament une technique inutile. Il est possible de rechercher parmi les greffons de sang de cordon celui qui permettra de traiter la pathologie considérée. Il faut savoir que la pénurie de stocks de sang de cordon aujourd’hui, entrainant un problème pour les greffes HLA-compatibles (il faut pour cela disposer d’échantillonnages variés), s’explique par l’absence de choix politiques clairvoyants au début des années 2000 relatifs à l’organisation de cette activité. Cette démission politique ne doit pas se renouveler en 2011.
3. Le bébé médicament : une technique mensongère
La loi de 2004 avait limité l’usage de cette technique à une expérience de 5 ans. La pérennisation de cette technique repose sur un mensonge. La technique du bébé médicament aurait dû faire l’objet d’une expérimentation, puis d’une évaluation, avant d’être éventuellement reconduite ou arrêtée. Cela n’a pas été le cas puisque cette technique depuis 2004 n’a pas abouti (cf. le rapport du conseil d’Etat relatif à la révision de la loi de bioéthique, avril 2009). L’inscrire définitivement parmi les actes auxquels il pourrait être recouru est donc une malhonnêteté intellectuelle, un risque médical et une faiblesse sur le plan politique. Enfin il faut rappeler qu’en 2004 cette technique, que la majorité de l’époque ne souhaitait pas, a été introduite par un amendement de l’opposition. On note qu’en 2011, c’est la même majorité, qui par un amendement du rapporteur du projet de loi (le député Jean Léonetti) valide aveuglément cette transgression. Les choix politiques de 2011 s’inscriront-ils dans la continuité de ceux de 2004, eugénistes et fondés sur une manipulation médiatique, ou feront-ils preuve de lucidité et de courage pour privilégier des orientations solides médicalement et éthiques ? »