Euthanasie : le débat manipulé
Sans vouloir, disait-il, légiférer sur l’euthanasie, le Président de la République avait promis des Etats Généraux sur la fin de vie.
Question douloureuse, difficile et importante tant elle nous concerne tous puisqu’elle touche au sens même de la vie et de la mort. Une question fondamentale qui justifie qu’on prenne du temps – loin des émotions instrumentalisées ou des pressions des lobbys – pour s’interroger sur le rôle de la société, de la médecine, de l’Etat, de la famille, dans la façon d’accompagner cette ultime étape de la vie.
En fait d’Etats Généraux, nous avons eu droit à un simulacre de consultation. Il annonce une véritable manipulation de l’opinion. Un institut de sondage, l’Ifop, a réuni – tenez vous bien – 18 citoyens choisis « pour refléter au mieux la diversité de la population française et illustrer la variété des points de vue ». Ce panel représentatif appelé pompeusement « conférence citoyenne » a auditionné des personnalités puis rendu son rapport. Il faut le lire. Après trois week-end de réflexion, nos 18 compatriotes préconisent deux mesures choc : la reconnaissance du droit légitime au suicide assisté et la légalisation des exceptions d’euthanasie.
Le suicide assisté : un progrès ?
On découvre d’abord que parmi ces 18 personnes censées nous représenter, 18 sont pour le droit au suicide assisté. 100%. C’est ça la « variété des points de vue ».
Cette assistance au suicide serait reconnue comme un droit des personnes en fin de vie ou atteinte d’une maladie incurable ou irréversible. On va bien au-delà de la fin de vie. Une « maladie incurable », ce peut être la maladie d’Alzheimer par exemple, ou certaines maladies psychiatriques, ou d’autres maladies incurables avec lesquelles on peut vivre plusieurs années ou qui peuvent se déclarer tôt. Et que dira-t-on du handicap ? Vous allez dire qu’on exagère… Mais en Belgique, les derniers cas que la Commission de Contrôle vient d’accepter concernaient des jumeaux de 45 ans, nés sourds et qui allaient devenir aveugles. Et aussi une femme anorexique. Oui, vous avez bien lu.
La question n’est donc pas de juger de la détresse ou d’évaluer la souffrance. On doit bien sûr lutter contre toute souffrance. La vraie question, la voici : est-ce vraiment un progrès que d’aider les gens à se supprimer ? Que devons-nous attendre de notre société ? Qu’elle aide les gens à mourir « proprement » ou qu’elle les aide à vivre, à donner du sens à cette période de leur vie ? Le Professeur Bernard, premier président du Comité d’Ethique, disait : « quand on ne peut plus donner de jours à la vie, il faut donner de la vie aux jours ». N’est-ce pas là la bataille que nous devons tous ensemble gagner : lutter contre la douleur, entourer la personne, lui redonner le désir de vivre les jours qui viennent, lui faire sentir qu’elle est aimée jusqu’au bout, que sa vie – même abimée – est digne et a du sens ? Qui pourra en juger autrement ? Et sur quels critères ?
L’Etat mobilise de nombreux moyens dans un courageux « programme national d’action contre le suicide ». Mais comment peut-il lutter contre ce fléau qui emporte des vies submergées par la souffrance ou la désespérance et en même temps favoriser certains suicides ? Y aurait-il des bons et des mauvais suicides ? De bonnes et de mauvaises raisons de se supprimer ? Des suicides à empêcher et d’autres à assister ? Où est la cohérence ? En acceptant d’introduire le suicide dans le panel des solutions possibles, notre société révèle le mal dont elle souffre : sa désespérance.
L’exception d’euthanasie : la porte ouverte
Nos 18 citoyens expliquent par ailleurs qu’il pourrait y avoir des cas « exceptionnels » où le malade ne peut plus donner son consentement. Il n’a rien demandé, mais puisqu’il n’est plus conscient, si on se met d’accord autour de lui, on peut – mais c’est vraiment exceptionnel, hein… ? – le tuer. Enfin … pratiquer « une exception d’euthanasie ». Oui. Vous avez encore bien lu. Sur la même page, le rapport réussit le tour de force de redire « nul ne peut disposer sans son consentement de la vie d’autrui » et en même temps « nous sommes favorables à une exception d’euthanasie quand il n’existe pas d’autre solution (pas de consentement direct du patient) ».
Pas besoin de démonstration, l’histoire le fait pour nous : toute exception ouvre la porte à la banalisation. Il est du coup assez insupportable qu’on puisse encore oser nous faire croire à la possibilité d’en rester aux seules exceptions. L’exemple de la Belgique est criant de vérité, à deux heures de TGV.
Notez qu’il ne s’agit en aucun cas de s’acharner sur le malade. On doit même soulager la douleur, y compris en donnant des traitements antalgiques puissants qui peuvent affaiblir la personne et donc abréger indirectement sa vie. Mais on ne peut jamais donner la mort.
Un défi pour nous tous
Face à la déferlante médiatique et l’offensive politique qui reprend, personne ne doit rester passif ; ce serait être complice. Voici quelques moyens simples pour réagir concrètement :
– Dénoncer le mensonge. On commence toujours par changer le vocabulaire. Madame S. Royal disait récemment sur Itélé : « ne parlons pas d’euthanasie, ça fait peur. Parlons de la possibilité de mourir dans la dignité ». Dénonçons cette manipulation des sondages : vous en connaissez, vous, des gens qui veulent mourir dans l’indignité ? Personne n’aime souffrir et le désire encore moins ! Mais cela ne veut pas dire qu’on souhaite une injection létale. Tous ceux qui se dévouent dans les soins palliatifs le disent : quand les personnes en fin de vie sont entourées, accompagnées et aimées, les demandes d’euthanasies tendent à disparaître, certains échanges renaissent, certains sourires reviennent, les patients et leurs familles s’apaisent (il faut lire ce témoignage paru dans Rue89).
– Réagir : écrivez aux médias pour qu’ils offrent la parole à tous et pas seulement aux partisans de l’euthanasie. Nous allons être abreuvés d’histoires personnelles, de cas particuliers tous plus bouleversants les uns que les autres. Il ne s’agit pas d’être insensibles, mais de ne pas laisser place à l’instrumentalisation de l’émotion et de la souffrance. Souvent, les témoignages mis en avant vont dans le même sens. Qui parlera des autres ?
Ecrivez à vos élus, prévenez-les que vous faites de ce sujet un sujet majeur pour leur réélection. Demandez-leur ce qu’ils font pour offrir les soins palliatifs à tous, comme la loi Léonetti s’y engageait. Chez les médias et chez nos élus, un courrier porte toujours.
– Se former : lisons, travaillons le sujet. Par exemple, en consultant régulièrement les infos et les travaux du site d’Alliance Vita en pointe sur ce combat pour la vie. Interrogeons les médecins que nous connaissons, intéressons-nous aux soins palliatifs ! Beaucoup ne savent pas qu’il y a là une véritable alternative. Lisons ou relisons ce que l’Eglise dit sur le sujet. Depuis 2.000 ans, elle a l’expérience de l’accompagnement de la fin de vie. Avec tant d’autres, elle a pensé la vie et la mort. Etonnant d’ailleurs – ou révélateur – qu’aucune religion n’ait été auditionnée… alors qu’encore 70 % des obsèques sont religieuses. La dimension spirituelle n’est pas absente de la fin de vie.
– Cultiver la solidarité : le scandale, le vrai scandale, c’est que des personnes puissent encore mourir isolées et désespérées. Parfois dans nos propres familles, dans les maisons de retraite, dans les hôpitaux. Cette question de la fin de vie est un formidable défi lancé à notre capacité d’aimer jusqu’au bout. Un défi lancé à la solidarité intergénérationnelle. Inventons des liens, prenons le temps de visiter, occupons-nous de notre voisine âgée, passons voir nos anciens, visitons les malades… ! Que chacun se sache aimé au cœur même de sa fragilité, que nul ne se sente abandonné face à l’épreuve de la souffrance, de la maladie et de la mort.
Les Padre