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Abbé Pierre Amar
17 septembre 2020

Malgré les différences et les surprises – et cette rentrée 2020 n’en manque pas – la vie est un éternel recommencement. Elle est remplie de cycles qui se répètent : minutes, heures, journées, semaines, mois, saisons, années. Le temps qui passe déroule peu à peu le fil de notre existence. Avec tout ce qu’elle a de répétitif, de « déjà vu » mais aussi de nouveauté, la reprise de nos activités habituelles met pourtant en valeur un aspect essentiel de notre vie chrétienne : notre fidélité.

« Celui qui avance dans la vie n’arrête jamais d’aller de commencement en commencement » écrivait saint Grégoire de Nysse (335-395). Et si chaque jour que Dieu me donne était une occasion supplémentaire pour redire le « oui » de mon baptême ?

Rester fidèle

Au soir de notre vie, nous arriverons devant Dieu avec la somme de toutes nos bonnes actions. Comme nous aimerions que le Seigneur pousse, devant tous, un petit sifflement d’admiration ! Pourtant, nous nous avancerons plutôt tous désolés de notre faiblesse et de notre misère, et en même temps certains d’être ces pauvres que Dieu préfère : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le fardeau, et moi, je vous donnerai le repos » dit Jésus dans l’Évangile. Ne prend-il pas ainsi – et pour toujours – le parti des pauvres, des petits et des faibles ? De tous ceux qui se sentent fragiles et vulnérables, de ceux qui tombent et se relèvent sans cesse ? Au soir de notre vie, nous n’aurons en fait qu’une seule chose à offrir au Seigneur : notre fidélité.

Car il est vrai que, chaque jour, je recommence : je rencontre les mêmes personnes, je refais les mêmes gestes, je me déplace aux mêmes endroits, je lutte contre les mêmes défauts. « Mon Père, c’est toujours pareil ! » entend-on souvent au confessionnal. Tant mieux ! Car c’est toujours aux mêmes endroits que la poussière et la saleté viennent se nicher. Heureux pénitent qui ne se trouve pas enchaîné par un nouveau péché, une nouvelle dépendance ou un nouveau vice et qui accepte de continuer sans cesse à repartir au combat contre… lui-même ! Saint Augustin avait résumé cette lutte dans une phrase dont la concision égale le génie : « Si le Seigneur ne me trouve pas victorieux, qu’il me trouve au moins combattant ».

Vivre au présent

Oui, il faut recommencer chaque jour. Et l’enjeu, pourrait-on dire, c’est de recommencer « mieux ». Pour cela, l’idéal est de vivre au présent, et rien qu’au présent. Le passé, avec ses joies et ses peines, appartient déjà à la miséricorde de Dieu. Quel sera l’avenir ? Comment savoir, il appartient à la Providence ! Il ne me reste que le présent, cet « ici » et ce « maintenant » sur lequel j’ai prise.

Bien sûr, la prudence (qui est une vertu cardinale) m’oblige à anticiper et à préparer l’avenir. Je dois par exemple souscrire des polices d’assurance pour ma maison ou ma voiture, je dois faire des budgets prévisionnels, me protéger du froid ou des microbes, etc. Mais une fois ces opérations de prévoyance effectuées, ai-je le réflexe de tout placer dans le cœur de Dieu ? Nos actions sont-elles vraiment placées dans son cœur à lui ? Ai-je vraiment le sentiment, plus encore la conviction, que Dieu seul dirige ma vie ?

La question est difficile dans la mesure où Dieu « est », au présent, dans un éternel présent. En lui, pas de passé et pas de futur. Pas de « temps », car le temps, c’est lui qui l’a créé. Il le survole et le transcende. Mais la progression de la vie chrétienne et la marche vers le bonheur éternel se jouent justement et uniquement dans cette réalité fugace qu’est l’instant présent. C’est au présent que je pense, que je veux ou ne veux pas, que je fais ou ne fais pas, que j’aime ou n’aime pas. Chaque instant présent offre un espace d’action pour ma liberté : un choix entre le bien ou le mal, ou entre le meilleur et le moins bon.

Réussir sa mort

Le temps de la reprise et du recommencement attire singulièrement notre attention sur une autre échéance : l’approche inexorable de la mort. L’ambiance angoissante et lourde de la crise sanitaire actuelle l’a probablement renforcée. Mais, dans ce contexte singulier, un chrétien devrait avoir un comportement et des mots en rupture. Car, s’il peut légitimement avoir peur de mourir et de souffrir, un chrétien ne peut pas avoir peur de la mort. Parce qu’il connaît, lui, la suite de l’histoire. Dans le documentaire de Géraud Burin des Roziers, sorti en 2016 sur la chaîne KTO, on y entend Tanguy, 13 ans et en phase terminale d’un cancer, résumer l’espérance chrétienne en disant à son père : « Papa, il n’y a pas deux vies : une sur la terre et une au ciel. Il n’y en a qu’une. C’est la même. La mort, c’est juste une marche ». Mieux encore, nous savons depuis le jour de Pâques que la mort n’aura pas le dernier mot et qu’il y aura des retrouvailles. En ce sens, comme le dit la liturgie, la vie éternelle est déjà commencée.

Ce qui compte finalement, ce n’est pas que nous échappions à la mort car on a beau nous la cacher, elle est inéluctable. Ce qui compte, c’est l’état et les pensées avec lesquelles la mort va nous trouver, avec lesquelles nous allons la rencontrer et l’affronter. C’est ce qu’explique le philosophe Fabrice Hadjadj dans son merveilleux ouvrage « Réussir sa mort ».

On ne peut pas choisir où et comment on va mourir, mais on peut choisir où et comment on va vivre. Finalement, avec nos masques et nos protocoles pour lutter contre le Covid-19, n’avons-nous pas à interroger la sagesse et le bon sens de tous en posant cette question : vivre, n’est-ce pas déjà un peu mourir ?

Alors, qu’on nous donne le risque… de vivre !

Abbé Pierre Amar

Abbé Pierre Amar

Diocèse de Versailles, ordonné en 2002. Licencié en droit et en théologie. Auteur de "Internet, le nouveau presbytère" (Artège, 2016), "Hors Service" (Artège 2019), "Prières de chaque instant" (Artège 2021) et de divers spectacles (Jean-Paul II, Charles de Foucauld, Madame Elisabeth). De 2013 à 2018, il anime l'émission "Un prêtre vous répond" sur Radio Notre-Dame. Depuis sept. 2019, il répond à "Pourquoi Padre ?" sur KTOtv.

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