De retour d’Irak
ErbiLight ! C’était le nom de l’opération montée par le Cardinal Barbarin et le diocèse de Lyon, du 5 au 7 décembre 2014. Une visite de nos frères chrétiens persécutés, réfugiés à Erbil, au nord de l’Irak, avec un triple objectif : prier avec eux et pour eux, les aider, alerter l’opinion publique sur le drame que vivent ces frères. Pour ne pas être trop long, je vous invite à lire ce qu’il en disait lui-même ici.
Ayant eu la joie d’être convié à vivre ce voyage au sein de la délégation, je voudrais vous partager quelques rencontres qui marqueront pour longtemps ma prière. Qu’elles puissent aussi éclairer la vôtre !
« Ils ont détruit nos églises »
Un immeuble en construction. L’armature en béton est montée, mais ni murs, ni fenêtres. A l’intérieur, des préfabriqués pour loger des familles entières. Le cardinal Barbarin est accueilli dans la joie. Les vieillards, les larmes aux yeux, embrassent sa croix pectorale. Comme tous ceux que nous verrons, ces chrétiens ont fui Mossoul et Quaraqosh. Ils ont dû tout quitter, tout perdre, en quelques heures. Ils ont préféré cela plutôt que de renier leur foi. Un thé très sucré nous est offert ; ces gens savent recevoir, gardant toute leur dignité. Une grand-mère me prend dans ses bras, en pleurant à chaudes larmes. Elle me présente son petit fils. « Son papa a été enlevé par Daesh – m’explique un prêtre irakien qui traduit au fur et à mesure les paroles de la vieille femme – ils n’ont plus de nouvelles ». L’enfant me regarde avec un grand regard triste. « Ils ont détruit nos églises. Abbounna ! Quand pourrons-nous rentrer ? Il faut qu’on les reconstruise ! ». Comme on se sent petit devant un tel cri de douleur… et le silence de l’enfant, qui ne me quitte pas des yeux. Bouleversé, je demande au prêtre de traduire : « nous venons ici pour que vous ne soyez pas oubliés… et pour prier pour vous. Nous prierons pour que vous puissiez reconstruire nos églises. Priez s’il vous plaît pour que les nôtres, en France, se remplissent… »… Que dire d’autre ? C’est la première fois que je fais face à des frères qui ont connu la persécution réelle. J’ai devant moi des martyrs. Pas un n’a renié. S’ils pouvaient nous sauver de notre tiédeur ! On se quitte en chantant ensemble la Vierge Marie. Elle sait et comprend tout. Elle seule peut consoler tant de douleurs.
L’hospitalité des pauvres
Un immense centre commercial, en cours de construction : Ankawa mall. Les travaux se sont arrêtés. Le centre accueille désormais plus de 400 familles de réfugiés, dans un désordre indescriptible et une grande misère. Ils ont eu l’électricité ce matin, en prévision de notre arrivée. Partout, des enfants et des jeunes. Nous nous répartissons dans les familles. Celles-ci partagent avec nous la nourriture qui leur a été distribuée. Un jeune couple m’accueille, avec ses trois enfants. Une autre jeune femme et son bébé vivent avec eux. L’époux était policier à Qaraqosh. Il me montre sa carte. Il n’a plus rien, n’a plus été payé depuis 6 mois. Il s’entassent et vivent à sept dans une pièce qui fait juste deux fois la taille de ma chambre au presbytère. Au mur, un chapelet est accroché. On déjeune ensemble, essayant de se comprendre un peu. La jeune femme parle un peu anglais. Les sourires et les regards font le reste. Cette famille ne se plaint pas, elle prend soin de moi. Elle me demande de bénir chaque enfant. Je donne à chacun une petite médaille miraculeuse de la rue du Bac. Salah, le petit garçon de 3-4 ans va chercher un livre, dans les quelques affaires qu’ils ont pu sauver. Il revient me le montrer. C’est l’évangile illustré pour les enfants. Si j’avais dû tout quitter en une heure, aurais-je pensé à prendre ma Bible ? On tourne les pages ensemble. Puis je sors mon carnet, et je dessine pour chacun. Ça les fait rigoler. Leurs rires me font plaisir. Je n’ai jamais été aussi heureux de savoir un peu dessiner ! La maman accroche mes dessins à son mur. C’est dur de partir. Ces frères m’ont donné une leçon d’évangile. Ils n’ont plus rien, si ce n’est ces deux trésors : la famille et la foi. Ils m’ont fait découvrir l’hospitalité des pauvres, ils sont grands dans l’épreuve. La visite s’achève pour chacun. Certains ont aussi été confrontés à la douleur qui s’exprime plus vivement. « Comment garder l’Espérance, dans ces conditions ? C’est le combat des chrétiens d’Erbil » nous dira leur patriarche.
La vie plus forte
Autre camp. Des baraquements autour d’un entrepôt, au milieu d’une sorte de terrain vague. Les enfants accourent, on distribue des petites médailles, des cartes « Merci Marie » avec l’image de la Vierge, qu’ils embrassent. Des chocolats aussi ! Puis on prend le temps de visiter. On se sent un peu mal à l’aise d’aller vers eux, sans trop savoir quoi dire. Ne sommes-nous pas un peu voyeurs ? L’évêque d’Erbil répondra : « votre venue nous fait comprendre que si nous sommes persécutés, nous ne sommes pas pour autant oubliés ». Un refugié reprendra : « on a tous envie de partir. Mais en venant jusqu’à nous, vous nous aidez à rester ».
Sur le pas de la porte de son abri, Milad me présente fièrement son petit frère Walid, né ici il y a peu de temps. Le sourire est éclatant. Le regard profond. Milad brandit son frère, comme le signe d’une victoire de la vie et de l’amour sur la violence et le désespoir. Leur mère les regarde, heureuse et douloureuse à la fois. Quel avenir pour ses enfants ? Mais eux vivent l’instant présent. Ils sont l’avenir de l’Irak, du christianisme en Irak… Pour l’instant, ce sont des enfants. Et Milad repart jouer, tandis qu’un homme vient me proposer un café, dans une tasse ébréchée. Encore une fois, belle et noble hospitalité.
La crèche d’Erbil
La messe en chaldéen a été concélébrée autour de Mgr Sako. « Votre venue est pour nous comme une Visitation, qui nous fait espérer un miracle ». Autour de l’église, encore un camp de réfugiés, sous tentes cette fois-ci. Les enfants sont tous là, avec une petite bougie qu’on leur a donnée. Ils accueillent le cardinal et l’entourent, pour lui faire visiter leur camp dans la nuit qui est tombée. Au milieu des chants et des youyous, le cardinal Barbarin suit les enfants et bénit les petits qu’on lui présente. Une ferveur joyeuse règne, dans ce camp maintenant illuminé de centaines de petits cierges. Au milieu, une crèche. La Sainte Famille est aussi sous une tente. Comme il y a 2 000 ans, lors de la fuite en Egypte, pour éviter la persécution d’Hérode, elle campe là, au milieu des réfugiés d’aujourd’hui. Le symbole est fort. Les enfants viennent déposer leur lumignon devant l’enfant Roi. Sans doute se sentent-ils aimés et compris par ce Dieu né dans un pauvre abri, car nul n’avait de place pour le recevoir.
Deux blancheurs dans la nuit
Un peu plus loin, de nombreux chrétiens se sont rassemblés aux abords de la cathédrale d’Erbil. De là va partir la procession, jusqu’à une grande statue de Marie construite à l’entrée du quartier chrétien de la ville. On dit le chapelet, on prie, on intercède. Le patriarche prend la parole, puis Mgr Barbarin. Ces pères dans la foi encouragent les fidèles à tenir dans l’épreuve. L’archévêque de Lyon assure ce peuple d’Irak des prières des familles de France. Le Consul de France est là, avec son épouse, parmi la foule, qui s’apprête à suivre la Vierge portée en procession. Leur dévouement, qu’on découvre au fur et à mesure, est exemplaire. Quel bonheur de voir qu’un tel couple représente la France dans ce lieu ! L’Ave Maria de Lourdes retentit ; son air est universel ! La foule s’engage dans la rue, chaque visage éclairé par la lueur des cierges de procession. Visages graves, souvent émus. La ferveur est grande. Autour, les forces militaires sont en nombre. Le Cardinal et le Patriarche, comme pendant tout le voyage, sont entourés de gardes du corps. La tension est palpable. L’attentat est redouté. Il y a 10 jours, une voiture piégée a explosé. Les criminels de Daesh sèment la terreur, même là où ils ne sont pas encore arrivés.
Arrivés au but, une surprise attend les fidèles : à la demande du Cardinal Barbarin, le Pape François a enregistré un message vidéo pour les chrétiens d’Irak, qui est alors diffusé sur écrans géants. Le Pape redit combien il se veut proche de ses frères qui souffrent dans les épreuves qu’ils traversent. Il veut venir en Irak, les encourage en attendant à la force et à la résistance, tel des roseaux qui ploient sans rompre (à voir ici). La Vierge Marie et le Pape. Deux blancheurs dans la nuit d’Erbil, qui font reculer les ténèbres au moins pour un instant.
Je pourrais encore partager beaucoup d’impressions. Je préfère vous évoquer ces cinq rencontres concrètes, vous laissant le soin d’aller lire ailleurs sur Internet les comptes rendus exhaustifs de cette mission et de visionner les vidéos et photos publiées. Ces rencontres avec nos frères persécutés m’ont profondément marqué, vous le pressentez. Désormais, la prière pour les chrétiens d’Orient à laquelle nous invitent le Pape et les évêques sera plus concrète, des visages et des noms, des lieux et des histoires venant lui donner corps.
Combattre l’oubli et la tiédeur
Permettez-moi de terminer en vous demandant simplement deux choses. La première est de continuer à parler d’eux. Le silence est le plus grand allié des bourreaux. Ils veulent un Moyen-Orient sans chrétiens, ils veulent faire taire et disparaître les disciples du Christ en les massacrant ou les forçant à l’exil. Les réseaux sociaux sont formidables pour entretenir et poursuivre la mobilisation. Parlez-en aussi à vos amis, à vos voisins, à vos élus. Que nul n’oublie ou ne taise le drame que vivent nos frères là-bas. Cela passe aussi par la prière : l’Espérance est un combat pour eux, pour tous ces parents qui n’ont plus rien à offrir à leurs enfants. Notre prière soutient leur Espérance.
La deuxième, en ce temps de l’Avent, est de rechoisir – là où nous sommes – de vivre notre foi sans tiédeur, en accueillant vraiment le Christ. A eux qui n’ont pas renié, et pour cette raison ont tout perdu, nous devons de ne pas être des chrétiens à moitié. Si demain, la jeunesse de France, les familles, les lecteurs de cet article, sont plus aimants, plus fervents, plus fidèles, plus serviables qu’avant, alors nos frères d’Irak n’auront pas souffert pour rien. Leur consolation sera de voir un jour la fécondité de leur sacrifice. Que leur témoignage réveille les cœurs et les consciences en Occident !
Ces enfants sont l’avenir du christianisme en Irak. C’est bien pour cela que certains ont juré leur perte. C’est aussi pour cela que nous ne pouvons pas les oublier, qu’ils doivent pouvoir compter sur nous. La fidélité des jeunes chrétiens de Mossoul et de Qaraqosh appelle comme en écho celle des jeunes chrétiens de France. C’est la reconnaissance que nous leur devons. C’est la joie que nous leur ferons.
Addendum : ceux qui veulent aider plus concrètement peuvent passer par ces quatre œuvres, qui font un réel travail sur place
Le site du jumelage « Lyon – Mossoul » : lyonmossoul.fr