La mort : porte du Ciel ?
Alors que notre époque tend à nier la perspective de la mort ou au contraire à s’y résigner sans espérance, la foi catholique offre dans le mystère de l’Assomption de la Vierge Marie une perspective à la fois lucide et consolante.
L’Assomption, une histoire française !
Le 5 décembre 1637 s’achevaient les trois neuvaines (neuf jours de prière) conduites par le Frère Fiacre pour que Louis XIII et Anne d’Autriche puissent enfanter un fils après vingt-deux années d’attente. Quelques semaines plus tard la reine était enceinte. Plein de gratitude, Louis XIII soumet au Parlement de Paris un acte de consécration de la France à la Vierge Marie et demande à tous les curés de France l’hommage d’une procession lors de la fête de l’Assomption, le 15 août.
Cette histoire bien connue évoque pour nous tout ce que la naissance d’un enfant longtemps désiré charrie d’espérance et d’élan vital pour une famille, pour une nation. Elle évoque aussi une époque où le chef de l’Etat avait l’audace de confier à la Mère de Jésus l’avenir de la France et demandait humblement à ses sujets de prier pour lui. Le burin de l’histoire a depuis façonné un autre rapport entre le politique et le religieux, notre Etat moderne et laïque laissant à l’Eglise l’initiative d’organiser la prière publique pour la France, comme le feront de nombreux catholiques lors des processions organisées le 15 août.
Trois façons d’approcher la mort
La pensée catholique offre à travers le dogme de l’Assomption une perspective à la fois lucide et consolante sur la place de la mort dans notre vie personnelle et dans la société contemporaine. La foi donne ici à l’intelligence démunie face à la mort un appui et une direction nouvelle : la Vierge Marie n’a pas connu la dégradation du tombeau au moment de sa mort mais reçoit le privilège d’entrer la première avec le Christ dans la vie éternelle avec son corps et son âme. Trois modèles sont aujourd’hui en concurrence pour aider les hommes à s’approcher de la mort : le déni de la mort, l’absolutisation de la mort et la foi.
« Memento mori »
Le premier modèle est celui du déni – souvent inconscient – de la certitude de la mort. Dans un article célèbre de 1966, Philippe Ariès décrit la mort comme tabou majeur de la modernité occidentale. Thanatos devait ainsi remplacer Eros dans ce rôle, ce que la « libération » sexuelle a largement confirmé depuis. La tendance à faire abstraction de la mort se trouve en germe dans la métaphysique de Sartre, selon laquelle « l’existence précède l’essence » : je peux définir le sens de ma vie en fonction de ma seule libre initiative, de mon désir qui se projette, faisant abstraction des limites données par la nature. Ce modèle achoppe sur la mort, irréductible rappel de notre finitude : Memento mori, souviens-toi que tu dois mourir. L’idéologie transhumaniste entend aujourd’hui changer le rôle de la médecine : non pas guérir les malades, mais permettre à chacun d’assouvir ses désirs, et en particulier le désir naturel de ne pas mourir. Le premier confinement a révélé douloureusement combien la France avait déjà oublié l’importance de la mort. De nombreuses familles furent empêchées de visiter leurs proches à l’agonie dans les Ephad et les hôpitaux ; de nombreux enterrements furent célébrés sans passer par l’église, les familles en deuil étant ainsi privées du réconfort et de la paix offerts dans la liturgie catholique.
Le consentement sans espérance
Le deuxième modèle disponible pour faire face à la mort est diamétralement opposé au premier. Il ne s’agit pas de nier la mort mais au contraire de l’absolutiser. Si la mort est le terme absolu de l’existence, alors il ne reste à l’homme qu’une forme de résignation à accepter son destin à la manière des stoïciens. Ce consentement à la finitude est en un certain sens très courageux. Peu s’y engagent vraiment car, à la différence du déni de la mort, il suppose une détermination personnelle consciente. Il suppose d’accepter le désespoir et ce n’est pas à la portée de tous. Martin Heidegger qui définissait pourtant la vie humaine comme un « être-pour-la-mort » n’eut-il pas ce mot énigmatique vers la fin de sa vie : « seul un dieu peut encore nous sauver » ?
La lumière de la foi
Entre le déni de la mort et son absolutisation, la foi catholique propose une autre voie, qui resplendit dans le mystère de l’Assomption de la Vierge Marie. La foi regarde la mort avec lucidité. Penser à sa prop
re mort fait d’ailleurs partie des exercices spirituels classiques. Mais par la foi, celui qui meurt se sait uni au Christ qui a traversé la mort, dans l’espérance d’être avec le Christ ressuscité, corps et âme. Le philosophe Gustave Thibon imaginait déjà, dans un texte de 1959 (Vous serez comme des dieux) une situation dans laquelle les hommes auraient la possibilité technique de ne plus mourir. Une jeune femme, Amanda, entre alors en dissidence et choisit de rejoindre le camp des mortels, car elle pressentait qu’une immortalité terrestre finirait par tuer sa capacité d’aimer. La mort vécue dans la foi est précisément ce passage à une vie où non seulement l’amour est encore possible, mais où il est le tout de la vie, car « Dieu est amour » (Première lettre de St Jean).
Comment mourra-t-on en 2030 ?
D’ici quelques années, l’arrivée des baby-boomers à l’âge de la mort posera une question importante, soulevée par l’historien Guillaume Cuchet dans un essai à paraître en septembre prochain (Le catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ?). La génération des baby-boomers, après s’être affranchie de la pratique religieuse durant sa jeunesse et sa vie adulte, fera-t-elle le choix de se passer de la consolation apportée par la foi chrétienne et les rites traditionnels qui accompagnent la mort ? Le Paradis offert à celui qui croit sera-t-il encore désiré ?
[Tribune publiée dans Le Figaro « Vox » du 15 août 2021]