Microphone

Mort, où est ta victoire ?

Abbé Pierre Amar
11 avril 2020

La nouvelle est presque passée inaperçue. Crise sanitaire oblige, la sortie de Mourir peut attendre, le nouveau volet de la saga 007 avec un Daniel Craig en grande forme, a été repoussée à l’automne prochain. Il devait sortir cette semaine et bien évidemment remplir les salles à l’occasion du long week-end de Pâques. Mourir attendra donc…

Nous avons pourtant célébré cette semaine pas moins de sept enterrements sur la paroisse. Du jamais vu. Et d’autres s’annoncent déjà la semaine prochaine. La fameuse « vague » qu’on nous avait promise est bien là. A chaque fois, les assemblées sont limitées à vingt personnes mais les rites scrupuleusement accomplis : toute vie est digne et a droit à la prière de l’Église ! « Heureusement, ils ne nous ont pas supprimé ça » nous disent les familles. « Ils » ce sont bien sûr ceux qui nous gouvernent ; « ça » c’est l’adieu religieux à l’être aimé, emporté ou non par le Covid-19. Un adieu entre confinés, sans pouvoir s’étreindre, s’embrasser ou même se prendre par la main. Un adieu fort, bouleversant et plein de symboles qui parlent d’espérance. Alors que la liste des mesures sanitaires est extrêmement rigoureuse, ces rites funéraires et ces célébrations sont un dernier signe, essentiel, de civilisation et d’humanité.

Rencontre avec la mort

Jamais le monde n’a autant réalisé qu’il était fragile, vulnérable et mortel. Jamais, sauf en période de famine ou de guerre – mais notre pays n’en a pas connu sur son sol depuis 75 ans ! – la mort n’a autant fait partie de notre vie. La mort si proche et si réelle. Pas celle, un peu lointaine, que l’on avait repoussée dans nos Ehpad, ou que les journalistes évoquent lorsqu’elle fait des ravages sur d’autres continents. Ni l’autre, fictive, que l’on regarde au cinéma. La mort, inexorable et inéluctable. La mort, cet échec absolu contre lequel nos soignants se battent avec acharnement et héroïsme. Les médecins ne sont-ils pas les premiers témoins de la fragilité de nos vies ? Leur dévouement est admirable mais eux restent lucides depuis toujours : la médecine ne sauve pas des vies, elle les prolonge. Nous l’oublions parfois, mais il nous faudra tous consentir un jour à partir. Comme tout pèlerinage, le nôtre sur cette terre devra se conclure pour nous ouvrir à la suite.

Pourtant, l’homme ne manque pas de réponses pour affronter la question mystérieuse de la mort. Déjà, dans les colonnes du Figaro et alors que nous entrions tout juste dans notre mise en quarantaine collective, Sylvain Tesson plaignait ceux qui n’avaient pas de vie intérieure, leur promettant un douloureux confinement. Il est bien vrai que la religion n’a jamais autant soutenu ceux qui ont fait le choix d’en vivre. Pourtant, les fameux « gestes barrières » la gênent dans son ADN qui est de créer du lien (religere en latin). Mais voilà qu’au cœur de l’obscurité et de l’incertitude de cette pandémie, nous est ré-annoncée une nouvelle déconcertante : il y a 2000 ans, à Jérusalem, Jésus mort sur la croix est ressuscité ! Si la nouvelle est véridique (ce que l’auteur de ces lignes a l’audace de croire) cet évènement peut vraiment changer toute une existence. Face à la mort, c’est à chacun de décider et le choix est simple : c’est l’absurde ou le mystère.

L’espérance n’est pas confinée

Ce confinement, qui prend parfois des aspects funèbres à travers tous les renoncements qu’il nous impose, nous rappelle cruellement que tout homme a rendez-vous, un jour ou l’autre, avec sa mort. Et cette perspective jette sur notre vie une lumière de vérité qui nous effraye parfois. Alors, on comprend soudain que le crucifié du Vendredi saint n’est pas seulement une relique de l’histoire… mais aussi celui qui parle à nos coeurs endoloris pour les ouvrir à l’espérance.

Car l’espérance n’est pas confinée. Avec cette fête de Pâques, victoire de la vie sur la mort, nous voilà invités à redresser la tête. Si le Christ est ressuscité, alors cela veut dire que la mort n’aura pas le dernier mot et qu’il y aura des retrouvailles. Plus que jamais, cette année, les chrétiens ont besoin d’affirmer cette conviction… et le monde de l’entendre !

Oui, nous vivons tous en ce moment une forme de mort. C’est d’abord hélas très vrai pour les familles qui pleurent un être cher, mais ça l’est aussi pour nous tous qui devons faire le deuil de rencontres et de beaucoup de projets. Pour les croyants, la Semaine sainte qui s’achève fut une semaine sans sacrements ni célébrations. Mais certainement pas une semaine sans Dieu, à en juger le foisonnement numérique des paroisses observé sur le Web. Quelle curieuse expérience qui permet de révéler l’absence : décidément, comme on aime ce qui nous manque !

En 2005, le philosophe Fabrice Hadjadj proposait de « réussir sa mort ». Après tout, de nombreux ouvrages proposent de réussir sa vie ! Mais à quoi bon cette réussite si la mort doit tout réduire à rien ? Ce confinement avec soi-même nous oblige à repenser la réussite comme l’échec. Mais il a aussi sa part positive : il nous aide à une plus grande lucidité sur notre histoire et notre destin. Comme la mort, tout cela vient déjouer nos calculs et nous arracher à la mécanique de la réussite pour nous ouvrir au mystère de la Rencontre.

[Texte publié dans Le Figaro « Vox » du week-end de Pâques 2020].

Abbé Pierre Amar

Abbé Pierre Amar

Diocèse de Versailles, ordonné en 2002. Licencié en droit et en théologie. Auteur de "Internet, le nouveau presbytère" (Artège, 2016), "Hors Service" (Artège 2019), "Prières de chaque instant" (Artège 2021) et de divers spectacles (Jean-Paul II, Charles de Foucauld, Madame Elisabeth). De 2013 à 2018, il anime l'émission "Un prêtre vous répond" sur Radio Notre-Dame. Depuis sept. 2019, il répond à "Pourquoi Padre ?" sur KTOtv.

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